Menu Accueil

EPISODE N° 19 : Créativ’Session

J’ai vécu des révolutions culturelles fort intéressantes en quelques années professionnelles (Oh, cessez de ricaner dans mon dos ! Je ne suis pas si vieux que ça !)

J’ai connu l’époque : « un bon client est un client mort », au temps où il y avait tellement de boulot dans le BTP que, contents ou pas, les clients finissaient bien par nous rappeler. L’important était de faire de la marge et la fin justifiait presque toujours les moyens.

L’ère néolithique :

« Eh, les gars j’ai un filon pour avoir des aciers moins chers pour ferrailler le plancher »

«Mais ils sont pourris tes aciers, les planchers vont jamais tenir »

« Mais si ! Ce que tu peux être rabat-joie des fois, ils tiendront jusqu’à ce qu’on soit payés, après on s’tire et y s’démerdent avec nos avocats ! »

Vous vous doutez bien, que ces pratiques n’ont pas pu durer très longtemps !

L’ère Qualitélithique :

« la Qualité produit est notre meilleur atout commercial !!! » : un peu moins de boulot, une concurrence qui s’organise, et on découvre les bienfaits du travail de qualité. Inspirés des méthodes industrielles, on va chercher quelques points de marge en « faisant bien du premier coup » et en réduisant les gâchis. Les clients qu’on n’avait pas réussi à tuer n’acceptant plus de payer pour avoir de la m….. Alors, on a imaginé des procédures garantissant que tout sera bien fait. Des procédures pour tout et n’importe quoi. Le leitmotiv : « on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit ! ». J’adore, non, franchement, moi j’adore. C’était génial… du moment qu’on restait sur ce créneau tout le monde était content.

« Euh… C’est normal que le plancher s’écroule ? »

« Vous inquiétez pas! On a suivi la procédure, donc, tout va bien ! »

« Ouf, vous m’avez fait peur. J’ai cru que c’était grave, mais vous allez réparer quand même ? »

« Oui, bien sûr, l’année prochaine. Quand on aura révisé la procédure ! »

Donc, beaucoup de papier, des contrôles dans tous les sens, et moins ça marche, plus on met de contrôleurs ! Je soupçonne les types de l’époque d’avoir trop lu Kafka mais, cela n’engage que moi.

L’ère ClientKinglithique :

Avec un sursaut d’intelligence, on s’est dit STOOPP, ce qui est important, c’est la satisfaction client ! Ben oui, on ne construit pas pour nous mais pour un client, et peu importe que l’on fasse de la merde ou de la super qualité, ce qui compte c’est que ça lui plaise !!! Alors on s’est mis à écouter le client !

« Monsieur, vous le préférez qui tient ou qui tient pas votre plancher ? »

« Ah bon, j’ai le choix ?… »

« Oui m’sieur, le client est roi »

« Eh bien, puisque vous me laissez le choix, je choisis celui qui tient»

« Ok les gars on y va »

« Et c’est pas plus cher ? »

« Bien sûr que non, on vous le dit, vous êtes notre client chéri qu’on aime »

Bon, on ne parlait pas de business model à l’époque mais j’vous fais pas un dessin, pris un peu trop au pied de la lettre, on s’est vite rendu compte que ca coûtait très cher et qu’il fallait vite trouver une nouvelle idée.

Scrtch scrtch… (grattement de tête pour ceux qui ne lisent pas couramment les onomatopées)

L’ère du Toutlemondeilestbeaulithique :

Mais oui, bien sûr, on va créer la « Construction Durable » !

« Quesaquo » me diront les plus érudits, « mais c’est quoi ? » les ignares…

Eh bien, c’est l’équilibre entre trois forces contradictoires : La satisfaction client, la qualité produit et le sourire des actionnaires. Ah oui, autre temps, autre vocabulaire, on ne parle plus de « faire de la marge » mais de « satisfaire les actionnaires ». Même résultat, mais, avouons-le, c’est plus politiquement correct.

Et là, les emmerdes sérieuses commencent. Parce que de toutes façons, tu as toujours une bonne raison de te faire engueuler :

Parce que les planchers continuent de s’écrouler, les clients de ne pas être contents et les actionnaires n’en n’ont jamais assez. D’autant qu’est arrivée là-dessus la roue de Deming ! Laissez moi vous expliquer : Deming, c’est un américain, qui s’est fait viré des Etats-Unis, parce qu’eux avaient compris que ces idées étaient cons, et ils l’ont envoyé au Japon pour qu’il s’occupe de leur industrie automobile (Après Hiroshima, ils n’étaient plus à une bassesse près !)

Et notre Deming il nous invente la roue de l’amélioration continue. Je vous laisse aller voir sur internet les détails pratiques de cette roue. Je crois qu’il avait été inspiré par les inquisiteurs et leurs joyeuses tortures.

Alors z’êtes allés voir ? Quoi ? Vous trouvez ça sympa comme idée, on planifie, on fait, on contrôle et on améliore ? Vous… ça vous plaît ? Non… Pitié, ne m’obligez pas à m’énerver encore ! Non mais, sans rire, vous le sentez pas le truc moisi derrière cette roue ? Il vous faut un dessin ? Moi j’ai deux images qui me viennent en tête – Le Hamster et Sisyphe – ça commence à vous éclairer ? Si oui, lisez la suite, sinon j’préfèrerais presque que vous retourniez lire les pages roses du Figaro.

Bon, maintenant qu’on est entre personnes de bonne compagnie, on va pouvoir passer à l’étape suivante !

Après quelques années de roues, les managers les moins aveugles se sont rendu compte, que les gars qui étaient au pilori commençaient gentiment à s’user et allaient planter du cannabis dans leur jardin.

Extrait de Compte Rendu de CODIR :

« Bon les gars, on fait quoi ? Les mecs veulent tous se barrer, on a retrouvé la responsable QSE attachée à un poteau avec du goudron et de plumes et le manuel Qualité enfoncé dans… ».

Pardon, le texte exact était :

« Le Système Qualité n’est plus adapté à nos enjeux actuels et une solution efficace (voire efficiente) doit être rapidement trouvée car l’indicateur de turn-over devient inquiétant. »

L’ère BisounoursLandlithique :

Alors un type sort : « Si vous voulez garder vos gars, dites leurs que vous les aimez. »

« Bien sûr, et ? On fait comment ? »

« J’vous propose un truc, on garde trois forces antagonistes, parce qu’on ne va pas changer un truc qui foire, et on remplace qualité-produit par satisfaction des collaborateurs.»

« Tu crois ? »

«  Sûr et certain, évidemment, parce que si vos collaborateurs sont heureux, ils vont plus et mieux travailler et forcément les produits seront de qualité.» (A ce titre, les mecs chez Mc Do doivent être super malheureux)

Alors GO, après avoir écouté les clients, on écoute les collaborateurs :

« Z’êtes contents ? »

« Non ! On fait trop de contrôles »

« Pas grave. On enlève ! Quoi d’autre ? »

« J’rentre trop tard le vendredi et j’ai pas le temps d’aller voir ma maîtresse avant de rentrer »

« Pas grave : 35h et RTT, encore ? »

Et pendant ce temps, sur le chantier :

« M’sieur le collaborateur, votre plancher s’écroule, vous faites rien ? »

« Si, si, vous inquiétez pas, il y a le responsable des écroulements qui va s’en occuper, mais il rentre lundi, là, il est à la pêche au gros !»

« Ah bon, alors tout va bien .»

« Oui, M’sieur l’client, j’m’éclate et si vous me notez bien j’aurais un bonus»

Alors, adieu le Business Model Canevas…(Ah ben oui. Faut suivre, là aussi les néologismes fleurissent)

Extrait de CODIR :

« Mais quel est le crétin qui m’a mis une bande d’andouilles pareille ? Pas foutus de t’nir un délai ou un budget, mais sans déc’, y a des coups de pieds au cul qui s’perdent »

Traduisez : « On constate quelques dérives financières et des imprévus fâcheux, qui nous laissent penser qu’une partie de middle management n’est pas outillée pour nous transmettre un reporting fiable »

Vous aurez compris, on lynche le « j’écoute les collaborateurs », et on se tourne vers le dernier gourou en vogue : Un bon rugbyman

L’Ere Ovalithique :

« Faut revenir aux fondamentaux ». Il a tenu 3 minutes celui-là ! Oui, quand t’as gouté aux grands crus, celui qui essaie de te faire avaler de la piquette est vite renvoyé dans ses 22. Surtout que les fondamentaux ont vite été traduits par « Chouette on fait comme avant qu’on nous emmerde, on r’met des aciers pourris et on s’casse »

« Alors ? Une idée ? J’attends »…Oui le DG commence à perdre patience là !

L’ère Co-Workinglithique :

« Oh les gars, j’en tiens une mais, j’ose à peine, tellement elle est vicieuse ! »

« Ben vas-y dis toujours »

« On leur fait faire notre boulot ! »

« Notre boulot ? Mais… »

« Notre boulot, pas notre salaire, t’inquiète »

« Ah j’ai eu peur, t’es con ! »

« Mais ils savent pas le faire notre boulot »

« Pas plus que nous mais, eux, n’en savent rien ! »

« Allez : explique ! »

« Alors voilà : on leur demande de trouver les solutions à nos problèmes à notre place par eux même. On les met dans des salles de réunions, on leur donne des post-it de toutes les couleurs, voire même des croissants, ils réfléchissent et nous proposent des solutions »

« S’ils ne trouvent pas, on les engueule et ils ne peuvent pas se plaindre que les choses n’avancent pas »

« Et s’ils trouvent des solutions contraignantes, ils ne peuvent pas se plaindre parce que c’est eux qui l’auront proposé »

« Oh mon salaud… elle est top ton idée… Allez m’acheter des actions 3M…»

« Vous voulez dire des Post-it ? »

« Non D’ABORD des actions, et APRES des post-it, plein de post-it, des tonnes de post-it, j’en veux partout des post-it »

Alors on a phosphoré : on en a écrit des post-it, avec des brain storming, des patates, des cases, des score-cards, des diagrammes,… Il y en a eu des idées, plein, des tonnes, des myriades, des bonnes, des nulles, des farfelues, des inutiles, des géniales mais trop en avance (ça c’étaient les miennes (oh l’autre comment i’s’l’la pète !!!).

Mais ça partait dans tous les sens. Faut dire que depuis vingt ans qu’on faisait des conneries, s’il n’avait fallu que quelques post-it pour résoudre les problèmes, on s’en serait rendu compte.

On avait plein d’idées mais pas plus de pétrole, alors est arrivée :

L’ère du Leanlithique :

On nous a dit : « améliorez votre méthode de réflexions ; cherchez les causes racines » (L’arête de poisson, les 5M etc…)

Alors on a creusé pour trouver les racines. Et souvent elles étaient tout en haut de l’arbre les racines, très très haut perchées même.

« Alors voilà, Monsieur le Directeur, avec les copains on a bien bossé, et on s’rend compte que l’problème c’est vous ! »

Inutile de vous faire un dessin.

Surtout que dans le même temps, il faut quand même faire des chantiers :

« M’sieur le collaborateur, votre plancher s’écroule »

« Oui, oui, ne vous inquiétez pas on finit notre réunion de travail et on arrive, on n’a pas le temps de s’en occuper là tout de suite »

CODIR suivant :

« Amenez moi c’t’espèce de bon à rien avec ses Post-It… J’m’en vais lui faire bouffer un à un ses carrés de couleurs et avec la colle du bon côté encore… »

Euh pardon : « Les résultats obtenus à l’issue des séances de travail de groupe n’ayant pas atteint les objectifs escomptés, une remise en cause de l’organisation est envisagée »

Alors on en reste là ?

Que nenni… Une fois j’avais mis dans une slide de présentation : « Vous connaissez la différence entre Deming et Sisyphe ? Il n’y en a pas, mais il n’y a qu’un créatif qui peut le comprendre (et, accessoirement, des gens qui ont de l’humour !)

L’ère de l’hémisphèregauchelithique

Alors, ça y est le mot est lâché. Apprenons-leur à être CRE-A-TIF !

Des couleurs, du design-thinking, de la méthode Disney, du PPCO, des facilitateurs graphiques, du Kanban… J’dois vous dire que les méthodes sont nombreuses, variées et ludiques.

« Que feriez-vous pour que votre plancher ne s’écroule pas si vous étiez Lady Gaga ???? »

« Mais je ne suis pas Lady Gaga ! Et qu’est ce que vous voulez que ça lui foute que mon plancher s’écroule ? »

« Ne vous énervez pas, c’est une méthode de réflexion, qui vous permet de sortir du cadre, de faire fonctionner votre cerveau gauche, celui de la créativité ! »

« Eh, restez poli s’il vous plaît ! Il marche très bien mon cerveau, et Lady Gaga, à part se foutre à poil, j’vois pas en quoi elle pourrait m’aider ! »

« Eh bien, vous voyez, c’est pas si dur !!! Vous avez réussi à trouver une idée qui sort du contexte, maintenant nous allons développer cette idée !!! »

WORK IN PROGRESS

Et le résultat me direz-vous ? Franchement, j’en sais rien.

Les optimistes diront : « on est au milieu du gué », les autres : « on rame ». Mais, dans un cas comme dans l’autre, ça avance.

Et un con debout avance toujours plus vite que deux centraliens assis !

Ce qui ne change pas ? Les planchers continuent de s’écrouler, on passe toujours plus de temps en réunions, les clients se foutent royalement qu’on règle nos problèmes (d’ailleurs on a arrêté d’aller leur demander s’ils étaient satisfaits), mais on se marre ! On a l’impression de pouvoir révolutionner le métier, comme des apprentis chimistes, ça peut nous péter à la gueule, comme on peut découvrir la potion magique.

Et comble de tout : Nos Post-it, ce sont des consultants qui les remplissent pour nous !!!

On fait vraiment un métier formidable.

Catégories :BTP Métier

Tagué:

Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

4 réponses

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :