Mes chers amis, ce soir je me coucherai moins bête.
Oui, j’ai pris un cours de TBQ. C’est quoi TBQ ?
Ah ben oui ! Bravo ! j’vous vois v’nir ! Cela n’a rien à voir ! Lisez plutôt ce qui suit…
Vous ne connaissez donc pas TBQ ? Heureux ignorants que vous êtes. Priez pour que la vie vous épargne d’avoir à affronter ce monstre tentaculaire et gluant. Ses rhizomes insidieux infecteront vos doigts à travers les touches du clavier et viendront vampiriser chacun de vos neurones. Tel un poison des plus virulents, le premier contact est mortel et sans antidote connu. Que dis-je un poison mortel ? Non ! Cela vous délivrerait du mal, ce serait trop simple, TBQ est une drogue. Une torture qui vous maintient en vie et se nourrit de votre âme jusqu’à la rendre translucide telle un ectoplasme à la recherche de son Ghostbuster.
Fuyez ! Fuyez avant qu’un comptable déjà contaminé ne susurre à l’oreille d’un CODIR mal informé, qu’il serait temps de moderniser les outils de gestion. Qu’il serait souhaitable que les bilans puissent être produits plus régulièrement et de manière plus fiable. Tel Kaa, il susurrera à l’oreille affaiblie d’un PDG, sssssTBQ sssss’est bien, sssssi tu veux sssssavoir où sssssont tes sssous…
Quelques séances d’hypnose plus tard, le PDG ayant perdu toute vigilance craquera et condamnera ses sujets aux pires souffrances informatiques, intellectuelles et managériales. N’y voyez aucun sadisme, il est certain, qu’au moment de prendre cette décision, il ne mesure pas l’ampleur de la catastrophe qu’il va provoquer, mieux, il est persuadé que, passés les moments d’adaptation et de résistance naturelle au changement, chacun s’y retrouvera et gagnera en temps de sommeil et de reproduction.
Est-ce que l’on peut considérer que 5 ans est un temps normal d’adaptation ? Que les milliers d’heures passées à débugger le bousin plutôt qu’à analyser des plans soient un bon investissement ? Que les 300 tonnes de Temesta livrées sur les chantiers à l’approche des clôtures comptables soient une réponse au comblement du trou de la Sécu ?
Si le sujet n’était pas si sérieux, je ferais allusion au fait que TBQ est né le 1er Avril… 1972 en Allemagne. Que c’est, soit une mauvaise blague, un cauchemar dont nous sortirons rapidement, soit une tentative de déstabilisation concurrentielle à l’échelle nationale.
Comme moi aussi j’ai pu me procurer les enregistrements des dirigeants européens, je peux fournir des preuves irréfutables :
« Angela, j’ai trouvé un truc pour ruiner l’économie Française… On leur envoie une version vérolée de TBQ, on laisse agir quelques années et tu verras, tout déclinera insensiblement… »
« Tu es sûr Helmut ? »
« Crois-moi, petit à petit tout partira en couillbanane, jusqu’à ce qu’un jour ils finissent par voter Hollande… »
« Nooon ?! Tu es sûr ? Ça serait tellement beau ? »
« Alors ? »
« Ben Alors, go !!! Fonce »
Comment ça : j’exagère ? Comment ça : je suis de mauvaise foi ? Comment ça : c’est mieux d’avoir des comptes solides et fiables ?
Alors je répondrai : Oui souvent, oui très souvent et oui évidemment mais pas comme ça, pas au prix de tels de sacrifices et de renoncements intellectuels !
Quand vous aurez vu des conducteurs de travaux et des gestionnaires passer des journées complètes pour trouver 500 kg d’acier. Enfin les trouver ! Pas sur le chantier ni chez un fournisseur bien sûr, mais dans TBQ. 500 kg, ½ tonne, le 0,5 de trop qui fait que l’arrondi est à +1 au lieu de 0. Ce pouillième qui fait que « ça tombe pas juste » donc… c’est pas bon !!!
Oh je vous entends, 500 kg, c’est quand même beaucoup non ? c’est normal qu’on les cherche/
Loin de moi, la volonté de gâcher ou de jeter l’argent par les fenêtres, mais ces 500 kg, on les a utilisés sur le chantier (pour essayer de faire tenir un plancher par exemple*) donc la question, n’est pas de savoir ce que physiquement ils sont devenus, mais de savoir où ils sont rangés dans TBQ !
« Ben dans la case ‘acier’ non ? »
« Ahhhhh Ahhh, bande de petits malins, je vous y prends à tenter de me déstabiliser, dans ma démonstration »
Mais des cases ‘acier’, il y en a plein, des centaines, des milliers, des tonnes, pour chaque poutre, chaque poteau, chaque mètre carré de plancher, il y en a une, voire deux et parfois trois. Si, si, croyez-moi, selon la nature de l’acier et son mode de fabrication.
500 kg, à 3 € du kg, sur des chantiers de plusieurs millions… avouez quand même que cela fait cher du neurone explosé à se demander où diable est allé se planquer le biniou !!!
Le pire, c’est que pendant que mon responsable gros-œuvre cherche ses aciers tel un petit poucet dont la survie en forêt infestée de loups en dépendrait, il y a un chantier qui avance.
« Au fait, Etienne, tu as appelé le terrassier pour finir de creuser le troisième sous-sol ? »
« Euh… Ben non, suis occupé là »
« Et, le maçon pour les locaux techniques ? »
« Euh, ah ? J’étais sur autre chose »
« Et, dis voir, la RH, m’a appelé pour que je t’annonce une promo et 10% d’augmentation avec effet rétroactif sur les dix dernières années »
« Pardon ? Tu m’as parlé ? Désolé j’suis concentré sur autre chose j’ai pas écouté… »
A ce moment, il est temps de faire quelque chose pour le sortir de cette spirale infernale dans laquelle il se perd corps et âme.
Si vous aimez les histoires qui se terminent bien allez en [1], et si vous préférez celles qui se terminent bien allez en [2]. Et après il faut aller en [3] pour la conclusion. Je vous déconseille le [3] direct, vous risquez de perdre des éléments narratifs importants pour la bonne compréhension de la chute.
[1] – « Bon faites-moi voir votre problème, m’en vais vous les trouver vos aciers ! »
On passera rapidement sur le fait que c’est une sacrée connerie managériale, mais bon je n’ai jamais trop pu résister au plaisir des casse-têtes, mots croisés et autres défis en tout genre.
Je me lance donc à recherche de l’acier perdu avec mes petits gars. On ré-épluche les bons de livraison, les plans de ferraillage et les valeurs « dans les petites cases » et au bout de quelques heures, kilos par kilos on finit par retomber à peu près sur nos pattes. Le « à peu près » suffisant, en tout cas, à ce que l’arrondi masque les quelques kilos toujours introuvables.
Je me souviens encore du regard émerveillé de mes collègues devant tant d’intelligence et de pugnacité face à ce refus des chiffres de s’aligner convenablement. « Non mais, c’est qui qui commande ici ? » avais-je conclu en cliquant sur le bouton « envoi » scellant ici les comptes mensuels avec une précision digne de l’horlogerie suisse.
« Super, vous avez trouvé l’erreur ? Mais pourquoi c’était une connerie managériale, alors ? »
Eh bien, c’est vrai qu’on les a trouvés, mais pendant ce temps, personne pour appeler le maçon, le terrassier et qu’après on s’est tapé quelques week-end de charrettes pour rattraper le temps perdu. Et le mois suivant, c’est pas à 500 kg, qu’ils m’ont sollicité, c’est à 5 tonnes.
[2] – « Bon faites-moi voir votre problème, m’en vais vous les trouver vos aciers ! »
On passera rapidement sur le fait que c’est une sacrée connerie managériale, mais bon je n’ai jamais trop pu résister au plaisir des casse-têtes, mots croisés et autres défis en tout genre.
Il y a combien d’ouvrages touchés par la gangrène ? 265 ? Eh bien tu divises tes 500 par 265, et tu rajoutes 1.88679245 kg d’acier par ouvrage, et puis c’est marre! On va pas y passer la nuit !
Je me souviens encore du regard émerveillé de mes collègues devant tant d’intelligence et de pugnacité face à ce refus des chiffres de s’aligner convenablement. « Non mais, c’est qui qui commande ici ? » avais-je conclu en cliquant sur le bouton « envoi » scellant ici les comptes mensuels avec une précision digne de l’horlogerie suisse.
« Super, ce n’était qu’une question d’arrondi après tout ? Mais pourquoi c’était une connerie managériale, alors ? »
Ah bah, ça les comptes « tombaient bien » c’est sûr. Sauf que les 500 kg, venaient d’une erreur d’un plan de ferraillage, dont on s’est rendu compte trois mois plus tard, et que le plancher il a fallu le casser à nos heures perdues. Et le mois suivant, c’est pas 500 kg qui ont été « arrondis » mais 5 tonnes. Maintenant que je leur avais montré « l’astuce du chef » il n’y avait plus de raison de se gêner. Ce qui a donné une clôture des comptes de fin de chantier un peu « compliquée » !
[3] – « Ca fait combien de temps que vous êtes là-dessus ? Deux jours ? Vous avez fait le tour j’imagine ? Aucune chance de les trouver par des moyens légaux, donc ? »
« Ben, non, c’est incompréhensible »
« Ok, mais on pourra les rechercher plus tard ? Je veux dire à la fin du chantier par exemple ? I’vont pas s’envoler entre temps, ces chiffres ? »
« Ah, non aucun soucis, toutes les transactions sont enregistrées et sauvegardées sur trois serveurs indépendants en temps réels »
Et j’interdis toute remarque sarcastique sur cette débauche de moyens sécuritaires informatiques pour quelques chiffres anodins !
« Bon, ben parfait, fais voir ton truc là ? »
« Voilà chef »
« Ben, t’as qu’à cliquer là »
« Euhhh ?!!! Là, t’es sûr ? »
« Oui, la petite croix rouge en haut à droite, clique s’il te plaît »
« Ben ça va tout fermer »
« Exactement ! Voooiiillàààà ! Ferme-moi ce putain de bordel de merde d’ordinateur et fais ton boulot, appelle-moi le maçon et le terrassier (et pour la RH, laisse tomber, c’était un blague) »
Ah la vache !!! Que c’était bon de le voir revivre, délivré de la sclérose TBQ, libre de mobiliser ses neurones pour des tâches utiles et bénéfiques.
Et franchement, aujourd’hui j’ai pris mon plus beau cours de TBQ : Apprendre à le fermer le plus tôt possible !!!
* – Voir EPISODE N 19 : Créativ Session
Lyrkhan
Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.
Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.
J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.
Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.
Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.
Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.
L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.
il était temps que je l’écrive.
(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.
(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.
(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.
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