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EPISODE N° 43 : J’m’indigne

E43J’ai envie de pousser un coup de gueule !!!

Pourquoi ? Et de une, c’est très à la mode et de deux ça fait de l’audience.

Mais j’ai de toutes autres raisons…

Je suis de l’époque fête de l’huma format merguez-pluie (bon ça, ça n’a pas changé) et Renaud, Higelin (Là c’est plutôt eux qui ont changé)!

Eh bien, il faut avouer qu’à cette époque, on entendait plus souvent Krazuki appeler à la grève contre « ces salauds » de patrons que citer quelques vers de Paul Eluard dont il était pourtant un grand admirateur. (C’est Krazuki qui était un admirateur d’Eluard, pas l’inverse ! Pfff, ça va être très long si vous commencez à m’interrompre tout le temps !!!)

Un exemple plus récent ? Indignez-vous !!!

On se calme ! Je parle du livre de Stéphane Hessel qui s’est vendu en quelques semaines à un demi-million d’exemplaires. Quel est le mécanisme sous-jacent ? Je me pose sincèrement la question, comment ?

Comment ce livre qui n’a, au final, que peu d’intérêt littéraire ou philosophique écrit par un homme de surcroît inconnu du grand public (je veux dire qu’il n’a participé ni à Danse avec les Stars ni à Secret Story), est devenu en quelques jours un tel phénomène littéraire ? Certes, il s’agit du testament intellectuel d’un homme voyant sa fin arriver et souhaitant léguer au plus grand nombre une part de sa force et de son énergie de mobilisation. Mais ce ne peut être suffisant.

Et il n’est même pas subversif. Ce n’est pas une bible que les polonais opprimés par le joug communiste se transmettaient sous le manteau comme symbole de leur foi résistante à l’acide sulfurique Stalinien. (Quant à moi, mon foi résiste parfaitement à l’abus de Rhum, je vous remercie (même s’il s’indigne régulièrement du traitement que je lui inflige !)).

Alors quoi ? Un battage médiatique important ? Certes, mais il y a tant eu de films sur-vendus à grands coups de stars et de promotion délirantes qui ont fini en bides, que cet engouement journalistique ne peut pas suffire.

Si ce n’est le contenu, si ce n’est la notoriété de l’auteur, si ce n’est la publicité que reste-t-il ? Le format ? Oui, une grosse dizaine de pages, un prix modéré, et un titre qui se suffit à lui-même. On peut se l’offrir à n’importe quelle occasion, aussi facilement qu’on « partage » un coup de cœur sur facebook. C’est LE post d’un type de 93 ans, sur LE média de sa génération. « GG » comme dirait mon pote sur World of Warcraft.

Et, en écrivant ces mots,  j’y vois aussi un appel au secours trans-générationnel. « Les enfants, on vous laisse une planète à moitié rongée par la gangrène sans le moindre embryon de début de commencement d’idée de la façon dont vous pourrez vous en sortir (Ah si ! La COP 21, avec des centaines d’officiels qui vont défiler dans Paris avec leur centaines d’escortes et les milliers d’heures de bouchons que cela va provoquer), des guerres de religions incontrôlables, des situations humanitaires catastrophiques et plus un radis en caisse, alors franchement, ça serait bien que vous vous cassiez un peu le cul pour résister à tout ça ».

Je cite Stéphane Hessel : Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir un motif d’indignation. C’est précieux.

Mais il est là LE point : S’indigner, c’est réussir à comprendre ce qui nous motive, ce qui nous dérange, nous met mal à l’aise face à nos valeurs, nos convictions. Mais pour ça, encore faut-il en avoir (des convictions bien sûr)! Pour une génération comme la mienne, à qui l’on a expliqué, à coup de pied au cul, qu’il était « indigne » et égoïste de se plaindre parce qu’on avait tout, cet appel à l’indignation est une délivrance.

Alors, oui, quand j’étais gamin, les parents avaient majoritairement du boulot, on n’avait pas de pétrole mais on avait des idées, on avait le TGV et le Concorde, on arrivait même à battre les Brésiliens au football (bon pas les Allemands, mais c’est une autre histoire). De quoi pouvait-on se plaindre, franchement ?

Des centrales nucléaires ? Oh, ça va hein. On était bien content de notre indépendance énergétique avec une maîtrise totale des risques, que même les activistes de GreenPeace, n’ont jamais réussi à mettre en défaut.

Le  SIDA ? Oui ben, il suffisait de ne pas se droguer et de ne pas être homo californien pour ne pas le choper, il était où le problème ?

Dorothée, l’école des Fans et Intervilles ? C’est l’avantage de la télé populaire, il y en a pour tout le monde ! On avait aussi Michel Pollack et Bernard Pivot pour compenser et personne ne nous obligeait à allumer le poste, à ce que je sache.

Hessel entame son ouvrage en expliquant qu’il était né en 17 en pleine première guerre mondiale. Moi, je suis né en 66, pendant la construction de la seconde paix mondiale ! Il était vital que notre génération ne fasse pas les mêmes conneries que nos aïeux. La guerre d’Algérie ou Mai 68 ne nous ont été présentés que comme des répliques du tremblement de terre qui avait sévi vingt ans plus tôt et non comme des manifestations d’une indignation légitime d’une partie de la population.

Et de cet aveuglement est probablement née la totale incompréhension entre les générations X, Y, Z, etc… dont nous rebattent les oreilles les RH. Nous avons passé notre vie à maintenir l’état de paix au prix d’un nombre faramineux de concessions. Et pour continuer à se regarder dans la glace le matin, il faut savoir faire taire ses émotions, se dire que tout ça, c’est pour le bien de nos enfants et petits-enfants, pour qu’ils ne revivent pas « ça ». Ce « ça », étant des millions de morts et de déportés.

Tchernobyl, Fukushima, le SIDA, les catastrophes climatiques, le Darfour et autres joyeusetés… On en est à combien ?

Alors, comment pensez-vous que les prochaines générations nous présenteront et nous jugeront ?

J’entends de ci, de là des responsables de Ressources Humaines, prophétiser que les relations professionnelles entre les générations risquent fortement de tourner à une espèce d’état de guerre. Et ils l’expliquent, d’un côté par ces nouvelles générations qui ne prônent pas le dévouement aveugle et la fidélité aux institutions comme des valeurs fondatrices et structurantes. Et de l’autre par les générations en place dépassées par la technologie et la peur de perdre leur pouvoir.

Mais crénom, on ne peut continuer à répondre « ta gueule » aux jeunes qui nous demandent pourquoi on ne fait rien face à tous ces fléaux. On ne peut pas continuer à faire diversion quand on nous demande, « Dis Papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? » [VIDEO]. On ne peut pas continuer à acheter une n-ième Télé, quand on n’arrive pas à se mettre d’accord sur le programme. On ne peut pas continuer à se dire qu’il y aura bien quelqu’un, quelque part qui réglera le problème pour nous. L’image que nous projetons est celle d’une génération qui attend le messie et s’offusque que ceux qui le promettent soient les plus écoutés du moment !!!

Non, la promesse du progrès par la croissance et de la redistribution des richesses ne fonctionne plus auprès des nouvelles générations. Et nous nous retrouvons devant un sacré dilemme. Comment incarner le changement quand on a passé plus de vingt ans de sa vie professionnelle à se consacrer à l’avènement de cette utopie ?

Récemment, un journaliste politique expliquait que l’on pouvait déterminer si une phrase était creuse, si l’on pouvait toujours la comprendre en remplaçant le sujet par d’autres. Alors, remplacez le « on » de « Comment incarner le changement quand on a passé plus de vingt ans de sa vie professionnelle à se consacrer à l’avènement de cette utopie ? », par Politicien, journaliste, syndicaliste, président du Medef,… Tout le monde s’y retrouve. Là, je crois que je tiens une des plus belles phrases creuses du moment… Et pourtant ! Et pourtant, je pense qu’elle est fondatrice du mal-être dans lequel une grande partie de notre génération se trouve.

Et moi je dis, qu’il n’est jamais trop tard ! Jamais trop tard, pour retrouver un bout de dignité en commençant déjà par écouter ceux qui nous succèdent et nous montrent la merde dans laquelle on est en train de les mettre. Et puis surtout écouter notre cœur et notre conscience, et tenter de comprendre pourquoi on survit à grand coup de Temesta ou de The Voice. Tous ces palliatifs, qui nous permettent de nous soustraire à notre mal-être en continuant de participer à l’enrichissement des Labos et des chaînes privées.

Je sais, que ce n’est pas agréable, que ce n’est pas pour autant que l’on va trouver des solutions à tous ces problèmes, mais cela permettrait au moins de retrouver un peu de respect. Respect de soi et respect des autres. Comment imaginer être respecté d’une génération dont on exige qu’elle marche dans nos pas alors qu’ils nous mènent dans le mur ? Comment obtenir leur fidélité et leur dévouement quand nous sommes les exemples flagrants de personnes ayant abandonné toute intégrité ?

Alors évidemment, je vous entends me répondre, que la paix aussi fragile soit-elle mérite que l’on fasse tous les efforts possibles. Mais, s’indigner, n’est pas faire la guerre. D’ailleurs, Hessel, insiste bien sur ce point. S’indigner, c’est écouter ce qui nous met mal à l’aise et se mouvoir (je préfère à résister, c’est un peu plus positif) pour que les choses changent. Et avant toute chose, c’est comprendre ce qui nous met dans cet état.

La colère vient seulement après, quand la situation devient intolérable et que notre personnalité craque, déchirée par cette double contrainte.

L’art de la manipulation consiste à tirer sur la corde millimètre par millimètre pour que l’on accepte de se soumettre à cette situation de malaise sans craquer. A mes yeux, le meilleur navigateur est celui qui sait affaler au premier craquement de mât, pas celui qui prend le pari que la tempête va se calmer, encore faut-il d’abord écouter son bateau et seulement ensuite le météorologiste tranquillement installé dans son bureau bien au chaud à 5.000 miles de là.

Et ce n’est pas l’un ou l’autre, ou pire l’un contre l’autre. Il n’y pas de contre-indication, à ce que la technologie améliore notre perception du monde, mais elle ne doit pas occulter notre vigilance et notre libre-arbitre. Et là aussi, le regard que notre génération porte sur la génération Y et sa tendance à sur-utiliser les réseaux et autres technologies qui nous dépassent est symptomatique du conflit intérieur auquel nous sommes confrontés. Nous avons vécu une révolution numérique (La première Puce Intel a été créée il y a quarante ans presque jour pour jour !!!), qui a participé à notre sentiment d’abandonner notre destin à d’autres. Beaucoup d’entre nous ont probablement vécu cette transition comme une nouvelle aliénation, alors que je pense que cette nouvelle génération contrôle parfaitement la situation (enfin celle-là, ils feront sûrement leurs propres conneries, mais je ne serais surement plus là pour la subir). Fût un temps où il fallait changer d’ordinateur pour faire tourner le nouveau jeu à la mode, désormais c’est Raider qui change de recette quand les Internautes s’attaquent à l’usage des huiles de palmes. Et ma voisine qui se fait inviter gratos au Grand Véfour, parce qu’elle avait posté qu’elle avait été déçue par le plat principal !!!

Et là on touche du doigt la quintessence de mon propos. Ce n’est pas une râleuse ou une bêcheuse. Elle a simplement été déçue de son plat, et pour être déçue il faut qu’elle ait été capable de s’écouter elle, et non se laisser abuser par le fait que « je suis invitée dans ce fleuron international de la gastronomie et je n’ai donc pas le droit de me plaindre ».

De même que nos jeunes embauchés, à qui l’on demande de faire des rapports d’étonnements, et à qui l’on explique, qu’il est mal venu de se plaindre parce qu’il a « tout de même la chance d’avoir trouvé du boulot et qui plus est dans la meilleure boîte du monde (si, si, je vous assure, je bosse pour la meilleure boîte du monde, et je ne vous permets pas d’en douter, ne serait-ce qu’une seule seconde) ». Et, en général, à l’issue de ce genre de discussion, chacun repart en pensant, que « l’autre n’est qu’un con qui n’a rien compris. Mais c’est pas grave, il y en a d’autres ailleurs. Le « il » étant des jeunes cons de la génération trucmuche ou des boîtes qui se croient les meilleures du monde, suivant l’angle de vue pour lequel vous optez.

Allez, une dernière anecdote pour illustrer à quel point il est important d’écouter.

Retour sur mon super chantier Place Vendôme. Parmi les galères innombrables, il y a eu à gérer des tonnes de travaux modificatifs demandés par le client. Et que je te crée un musée de la mode au sous-sol et tiens-si-on-faisait-une-école-de-maquillage-aussi-tant-qu’on-y-est ? En résumé des tonnes de devis à préparer, à justifier, à modifier parce que non-finalement-on-va-plutôt-agrandir-le-coffre-fort, etc… Et qui se tapait ce super boulot ? (Moi ! Evidemment, sinon vous vous doutez bien que je n’en parlerai pas). Et donc, j’ai passé des journées entières à aligner des chiffres, faire, refaire, re-refaire des plans, donner des ordres et des contrordres aux sous-traitants. « Faire et défaire, c’est toujours travailler », putain que je hais cette phrase à la con !!! Non faire et défaire c’est juste ne rien faire du tout pour que ça avance. Aujourd’hui, je le sais, à l’époque je m’enorgueillissais (chaud à écrire sans faute de frappe celui-là) d’être l’interlocuteur privilégié du client sur tous ces points vitaux. Et donc je brassais de l’air, content d’avoir un rôle important, et en même temps une colère diffuse dont je n’arrivais pas à cerner la cause.

Et un jour, est arrivé en renfort un jeune loup aux dents longues fraîchement débarqué d’une autre entité provinciale (C’est vous dire s’il cumulait les défauts).

Il venait pour filer un coup de main à finir le chantier qui avait pris pas mal de retard, en grande partie à cause de cette accumulation de travaux modificatifs.

Notre première rencontre a été assez cordiale :

« Ca va ? »

« Mouais, tiens v’là le dossier de base à gauche et le dossier des modifs à droite. Tu jettes un œil dessus et on se revoit demain, là j’ai du taff, j’ai pas le temps de te mettre au parfum »

Et le lendemain…

« Alors t’as pu tout lire ? »

« Euh… Oui, ça a été assez vite. Il est léger ton dossier. Mais j’peux te poser une question ? »

« Ben oui, si tu peux pas t’empêcher ? »

« Mais qu’est-ce-que t’as foutu pendant tout ce temps ? Ca fait plus d’un an que t’es là et il n’y a pas un plan finalisé !!! »

« Eh ben… eh ben… J’ai fait 2.000 devis ! connard »

Et là, la colère a explosé, il avait tellement raison. J’avais passé mon temps à le perdre (mon temps). Je chassais d’autres chimères, visais des objectifs qui n’étaient pas les miens, aspirais à des gloires dont je ne bénéficierai jamais.

J’avais envie de cogner, heureusement, mon aversion à la violence physique détourna mon poing de sa figure qui finit par s’écraser sur mon ego déjà bien meurtri.

Je ne sais pas ce que je ferais aujourd’hui pour canaliser cette saine indignation, mais à l’époque j’ai pris mon téléphone, j’ai appelé mon N+12 et je lui ai dit : « T’as une semaine pour me changer de chantier, sinon je file ma dem’… »

Bref, vous avez devant vous un parfait spécimen de bon soldat de la paix ! Exemple d’oxymore sur pattes, j’en ai bouffé des piétinements de convictions et des foulages de valeurs à la recherche inconsciente de cette sacro-sainte paix. Mais, rassurez-vous, la bonne nouvelle, c’est que j’me soigne !!!

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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