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EPISODE N° 44 – On l’appelle Venise…

E44Nous avons déjà parlé de ma passion pour les réunions ?

Ah Oui ?! Vous êtes sûrs ? Et il n’y a pas si longtemps* ?! Je commence sérieusement à radoter !!! (Ou j’espère encore vous donnez envie d’aller voir un autre épisode, c’est tout aussi plausible)

Mais ce dont je suis certain (ou à peu près) c’est que je ne vous ai pas parlé des réunions de chantier. Ah ces grands moments de convivialité bourrue qui pourraient faire passer le concile de trente pour une réunion de l’amicale des Bisounours associés !

Et une fois encore, je peux témoigner qu’elles ont sacrément évolué ces réunions en quelques années (quoi 25 ?! déjà 25 ans ? décidément, je ne m’y ferai pas !!!)

La première, digne de ce nom, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer, m’a instantanément replongé sur les bancs de l’école. Le directeur de travaux présidait en bout de table et une vingtaine de sous-traitants (non seulement on les appelait ‘sous-traitant’ et non ‘entreprises partenaires’, mais on leur faisait bien sentir qu’ils étaient très très très sous-traitant. J’y reviendrai plus tard (ou pas, on verra en fonction de l’inspiration)).

Donc, un prof et une poignée (dans l’acception, tenus par le poing) d’élèves, sagement rangés derrière leurs dossiers attendant leur tour et leur temps de parole. (Le CSA du BTP n’est pas pour demain, j’vous l’dis). Fraichement sorti de l’ESTP, je n’étais pas tant dépaysé par cette forme théâtrale de réunion, voire même je comprenais enfin à quoi avaient bien pu me servir toutes ces heures passées à user mes fonds de jeans sur des strapontins d’amphis alors que les plus belles filles du monde s’éclataient en école de commerce (ou d’infirmière, ou d’attachée de presse, ou d’action commerciale trilingue (trois langues… de quoi rêver non ? (Pour regarder les films en VO bien sûr ! Tout de suite, vous déviez la conversation vers des pentes qui me seront très pénibles à remonter))).

Tous les corps de métier sont convoqués, en même temps. On appelle ça une réunion de coordination, on s’assure que tous les protagonistes sont présents pour s’assurer que l’on n’oublie rien et que tout le monde comprend ce qu’il aura à faire dans les prochaines semaines.

Et ça donne à peu près ça :

« Alors, Monsieur le Plombier, c’est à nous ! Vous deviez poser les tuyaux du 3ème étage la semaine dernière, vous ne l’avez pas fait, quelque chose pour votre défense ?  »

« Ben j’les ai pas posé parce que l’Electricien devait passer avant et il n’a toujours rien posé »

« Alors Monsieur l’Electricien ? Vous en dites quoi ? Je vous colle des pénalités ou vous avez une bonne excuse ? »

« Mais, c’est pas ma faute, c’est Machin qui… »

Et c’est parti pour un joli match de passe à dix avec double vrille carpée et triple salto arrière, ‘c’est celui qui dit qui y’est’, et ‘miroir’, et ‘cabane magique’ et tout ce qu’une cour de récré de maternelle (math sup si vous voulez) était capable d’offrir, et pour finir par l’immanquable :

« Je n’ai pas pu intervenir parce que vous (c’est-à-dire l’entreprise de Gros Œuvre, c’est-à-dire notre entreprise) n’avez pas fait les trous pour que je passe mes réseaux à travers vos murs ! »

Ou

« Moi, j’veux bien poser ce que vous voulez, mais vous (le même vous que juste au-dessus, faites un effort pour suivre s’il vous plait) n’avez pas validé mes plans (ou mon devis, ou mon marché, ou mes échantillons, il y a un grand choix d’excuses préfabriquées, que l’on apprend très rapidement si l’on veut survivre en milieu hostile) »

Et donc… retour à l’envoyeur [VIDEO] – Tiens prends ça dans tes dents…, qui déclenche, avec une mauvaise foi parfaite, l’arme thermo-nucléaire suivante :

« J’veux pas savoir » accompagné de la réponse convenant le mieux à la provocation du SOUS-TRAITANT : « vous n’aviez qu’à donner vos plans de réservations (ou échantillons, ou devis, ou formulaire Kb 375-a modifié N, etc…) avant !!! La seule chose que je constate, c’est que vous n’avez pas posé, donc vous êtes pénalisables, et pis c’est tout ! ».

Dans ces conditions, me direz-vous, pourquoi viennent-ils tous aussi assidument ? Et c’est une excellente question ! Parce qu’il y a aussi des pénalités pour…? absences en réunion ! Exactement ! Et même, une clause qui stipule que toute décision prise en l’absence d’un corps d’état lui est opposable sans recours possible !!! Génial, non ? Quelqu’un a dit jugement par contumace ? Oui, il y a un peu de ça !

Pour être parfaitement honnête, c’est aussi l’occasion pour les chargés d’affaires des différentes entreprises d’apporter leurs plans, échantillons, devis, etc… Eh oui ! Pas de coursier, pas de plans sur AutoCad, pas de serveur d’échanges de données, pas de Cloud,… On reçoit chaque semaine des caisses entières de plans papier qui sentent encore l’acétone de l’imprimerie à trois kilomètres (c’est l’acétone qu’on sent à trois km, l’imprimerie peut bien être n’importe où, qu’est-ce que vous voulez que j’en sache moi !).

Le plus hallucinant est que certains métiers comme le peintre ou le poseur de moquette sont convoqués à toutes les réunions dès le début du chantier. Les gars se tapent douze mois de réunions hebdomadaires, pour absolument rien !!! Et quand enfin, pourrait venir leur tour d’intervenir juste à propos, la plupart du temps, on est tellement à la bourre, qu’on décrète d’annuler les réunions hebdomadaires. D’autant plus, qu’intervenant en dernier, c’est lui qui doit rattraper le retard des tous les autres avant lui, et donc personne veut plus jouer à chat, parce qu’ils sont certains de perdre !

Contumace, vient du latin, contumacia qui signifie « Orgueil », je crois que tout est dit !

Mais ça, c’était avant !

Désormais, on reçoit les plans par internet, on ne les imprime même plus (de toutes façons, à quoi ça pourrait bien servir, ça se saurait si on posait conformément au plan non ?). Ils suivent un ‘workflow ‘ d’approbations, une dizaine de visas divers et (a)variés, qui pour la plupart reproduisent le schéma du ‘c’est pas moi c’est l’autre’ avec des mentions folkloriques : « Validé… (Yep !!! Enfin un plan validé)…sous réserve d’avis du… (Là encore le choix est vaste)…Bureau de Contrôle, Commission de Sécurité, Acousticien, Nostradamus ou Yannick Noah (comme il se mêle de tout, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas donner son avis sur une note de calcul de fondations, non ?!).

Donc, plus aucune raison impérieuse de venir, surtout si c’est pour se faire engueuler. Ainsi, de proche en proche, les réunions en grand comité ont disparu au profit de « conf call », de « workshop », « d’ateliers de travail » et autres palliatifs à la grande réunionnite.

Je sens qu’à ce stade du récit deux questions vous brûlent lèvres aussi sûrement que le sel d’une tequila rapido sur une gerçure.

1 – Alors, comment c’est-y-qu-on se coordonne alors, s’il y a plus de réunions ?

2 – Où-c’est-y-qu-tu-nous-emmènes avec ton histoire ?

Ce à quoi je répondrai :

1 – Ce n’est pas le propos de cet épisode.

2 – Ben justement, j’y arrive.

L’histoire se déroule il y a de très nombreuses années, j’avais été éduqué à la réunion « grand messe » ci-dessus explicitée et commençais à vivre son délitement (de ce style de réunion, pas encore de mon histoire évidemment)

Pour pallier les défections fréquentes de mes chers sous-traitants sans lesquels je ne serai rien, j’imaginais stratagèmes sur stratagèmes pour leur donner envie de venir, à défaut de les contraindre par les armes des pénalités.

Parmi les idées intéressantes qui fonctionnaient plutôt bien, il y eut celle du point dans la marge. Chaque semaine je mettais un point devant le nom d’une entreprise. C’était un code secret entre nous. Il voulait dire : la semaine prochaine c’est toi qui t’y colle ! A quoi ? Eh bien aux croissants !!! En effet, celui qui était désigné par le hasard de ma main innocente contrôlée par huissier amenait les croissants à la prochaine réunion. Et gare à celui qui omettait de s’acquitter de son labeur, il était conspué par les autres à la réunion suivante. Et avait généralement droit à un gage… Je ne lâcherai pas un mot sur les gages, ce n’est même pas la peine de poser la question !!!

Cela fonctionnait plutôt bien, et à défaut d’être très professionnelles, les réunions étaient au moins conviviales. J’avais choisi les croissants autant pour des raisons nostalgiques** que pour mon aversion au whisky avant 10h du matin.

On arriva rapidement à :

« Alors, Monsieur le Plombier, c’est à nous ! Vous deviez poser les tuyaux du 3ème étage la semaine dernière, vous ne l’avez pas fait, quelque chose pour votre défense ? Passez-moi un autre croissant s’il vous plaît ! »

« Ben j’les ai pas posé parce que l’Electricien devait passer avant et n’a toujours rien posé. Tenez ! J’les ai acheté chez Polka&Co ils sont bien meilleurs… »

« Alors Monsieur l’Electricien ? Vous en dites quoi (d’être en retard, pas des croissants…) ? Je vous colle des pénalités vous mets la croix la semaine prochaine ou vous avez une bonne excuse ? »

« Mais, c’est pas ma faute, c’est Machin qui Gnmgmgm, (pas facile l’onomatopée du type qui parle la bouche pleine !!!) Gloups… Non, non, promis je pose tout demain… »

Et hop, le tour était joué…

Evidemment, on prend quelques kilos, mais c’est assez efficace. Et le meilleur moment, c’est quand on accueille un nouveau sous-traitant…

Ma main, graisseuse mais toujours innocente, affectait la croix au nouvel arrivant et je me gardais bien de le prévenir de sa signification. Et à la première réunion, il avait le droit au bizutage.

Arrive ainsi le tour de l’entreprise de stores, désignée par un obscur acheteur du siège et que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam. La réunion débute, mais pas de storiste en vue. On se rabat sur des chips molles réchappées d’un précédent apéro tardif, avec autant de plaisir qu’un Big Mac défraîchi. On est sur le point de lever la séance, quand une petite voix se fait entendre.

« Bonjour, je suis en retard ? »

Toutes les têtes se tournent vers une très jolie brune ? Ses joues empourprées et son souffle court montrent qu’elle a dû courir pour arriver jusqu’à nous. Ajoutez à cela la gêne d’être en retard et les regards évaluateurs que la bande d’énergumènes affamés (les chips sont moins nourrissantes que les croissants), elle devait se sentir aussi à l’aise que Blandine de Lyon devant les taureaux. (je vous laisse aller voir sur Wiki, c’est pour le moins intéressant).

Mais la belle n’étant pas farouche et elle relève le défi, vient s’asseoir autour de la table et assume parfaitement le bizutage des croissants. Et la réunion fût très agréable.

Le lendemain, à huit heure pétantes, alors que je viens à peine d’ouvrir le chantier, j’entends quelques pas et…

« Bonjour, je suis en retard ? » agrémenté du bruit d’un sachet de croissant.

« Euh… Non, vous avez une semaine d’avance en fait… »

Je passe les détails (si, si, je passe les détails, n’insistez pas !!!), et nous faisons plus ample connaissance, jusqu’à finir en tenue d’Adam et Eve. L’histoire est brève et intense, et nos chemins se séparent, d’autant plus facilement que je n’ai pas fini ce chantier. En effet, j’avais décidé de rejoindre une autre boutique***.

Quelques mois plus tard, mon nouveau chef, m’appelle pour m’annoncer, qu’un obscur acheteur du siège veut désigner une entreprise de stores et que la chargée d’affaires l’attendait à son bureau pour lui présenter son devis, mais qu’il « n’a pas qu’ça à foutre » et qu’il aimerait bien que je le remplace pour la corvée…

La porte s’est ouverte et … nos joues se sont empourprées, nos souffles se sont raccourcis mais personne n’avait couru !!!

Le mieux, c’est que je ne me rappelle même pas si elle a eu le marché ?


* – Voir EPISODE N° 34 : J’adoooore les réunions

** – Voir EPISODE N° 3 : Un café, un croissant

*** – Voir EPISODE N° 4 : Embauche

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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