Passer un entretien d’embauche est une épreuve difficile, souvent pour le candidat, parfois pour le futur employeur, mais jamais pour ceux qui n’y participent pas…
…Enfin, normalement…
Certains m’ont demandé de raconter l’histoire truculente avec la deuxième représentante de la gente féminine sur le chantier de mon collège de nudistes*.
Je vous la réserve pour des jours où je serai en manque d’inspiration.
Aujourd’hui, laissez-moi vous raconter mon embauche dans LA GRANDE MAISON (d’où le titre du post !).
Vous aurez préalablement remarqué à quel point j’étais occupé à mon poste précédent et, bien qu’y ayant vécu des moments agréables (doubles, mais n’insistez pas je ne la raconterai pas aujourd’hui), je sentais la fin proche et les rats devaient quitter le navire.
J’ai donc profité de mes relations et ai demandé à un ancien chef qui avait fait le grand saut (et comme il mesure presque 2m, le saut était très grand)
« Eh, t’as pas de boulot chez ..biiip.. ? »
« Ben si, bien sûr… », ni une ni deux, il me rappelle sur..
Aparté « saut dans le temps » :
…mon Be-Bop. Je m’en souviens très précisément, j’avais cette espèce de dinosaure téléphonique qui ne captait que sous les lampadaires marqués de bandes jaunes et vertes. Autant vous dire qu’il n’était pas question pour une femme honnête de téléphoner sur les grands boulevards le soir.
« La semaine prochaine tu rencontres mon Directeur de Travaux : Rendez Vous 8h au Café Georges V sur les Champs Elysées – (Notez bien l’adresse cela vous resservira plus tard). »
Je m’attendais à rencontrer un subalterne inexistant, qui après m’avoir demandé : « ça va ? », irait tout droit voir la RH en lui vantant mes mérites professionnels.
A ma surprise, je rencontre un homme charismatique, mais je conserve tout de même l’illusion qu’il n’avait aucun pouvoir dans l’entreprise. Et donc, j’y suis allé très très très cool (trop ? jamais assez !). Entretien parfait, je suis brillant, déjà délégataire** au bout de deux ans d’ancienneté et mon grand ancien chef en rajoute jusqu’à me faire rougir.
Tout se passe donc pour le mieux, jusqu’au moment fatidique où j’entends :
« Je vous propose un CDD ???? »
Je rêve ou quoi !? Il a devant lui ce qui se fait de mieux en matière de génie de conduite de travaux et il me propose un CDD !
Je refuse fermement (enfin aussi fermement que possible en tous cas vu les circonstances), arguant que je ne suis pas ‘à la rue’, et que, bien que je cherche à bouger, ce n’est pas pour avoir moins de sécurité. «Au revoir, c’était un moment agréable mais on en reste là » (Qu’est ce que je l’ai entendu celle là, à l’occasion de mes multiples futurs râteaux Meetic !).
Le soir mon ex-chef entremetteur me rappelle :
« Mais t’es dingue ! On ne refuse jamais rien à ce Directeur de Travaux »
Cette phrase j’aurais dû me la tatouer sur les parties les plus intimes tant il est vrai qu’elle est fondatrice de toute relation hiérarchique. (en même temps ce n’est pas le meilleur endroit pour se les tatouer si on veut se le relire régulièrement)
« Ecoute, mon grand (je n’allais pas l’appeler mon petit, vu sa taille, et mon amour je le réserve à d’autres conquêtes), je suis désolé mais faut pas rigoler avec le boulot, j’ai un appart à payer, et je suis célibataire, ça coute vachement cher à Paris. Donc je reste ferme, pas de CDD»
… … …
6 mois passent…
« Dring » (je ne sais pas imiter la sonnerie du be-bop)
« Bonjour ici l’assistante de Monsieur le Directeur de Travaux ! »
« Qui ? » – Je sentais que je l’agaçais déjà.
« Vous avez rendez-vous demain matin à 9h00 au Georges V »
« Euh non, ça sera plutôt 7h30, j’ai un chantier à ouvrir, moi, après. »
« D’accord… »
« Bip Bip Bip… »
Rapide, efficace, professionnelle, je n’en n’attendais pas moins de cette entreprise.
Habitant, à l’époque, à proximité des champs je suis arrivé à l’heure pour une des rares fois de ma vie professionnelle.
7h20, je commande un café, 7h40 un deuxième, 8h00 un litre… Et régulièrement je vais aux toilettes du bar, pour téléphoner à l’assistante, qui évidemment est encore en train de s’occuper de ses tartines beurrées, à cette heure-ci quoi de plus normal.
Toujours pas de Directeur en vue… 8h30,
« Ouuiiiii ? » Enfin ! Elle décroche
« Ah, j’attends votre patron »
« Non, ce n’est pas possible, vous êtes bien sur son agenda, il est là-bas »
« Euh… non je vous assure, à part trois alcolos qui finissent leur nuit au comptoir, je suis tout seul »
« Ah mais je vous assure qu’il est là-bas, vous n’avez qu’à le chercher. »
« bip bip bip… »
Une petite envie de meurtre avec préméditation m’envahie en raccrochant, mais je tins bon en songeant aux ouvriers qui m’attendaient sagement devant la porte du chantier à Montfermeil (Oui entres autres responsabilités, le délégataire, c’est celui qui a la clé du chantier et quand il est pas là, personne bosse,…)
Je m’accordais (enfin plutôt j’accordais) 15 min de plus à ce Directeur « que je me trompais et qu’il était là mais que je ne le voyais pas ».
Et je suis reparti vaquer à de vraies occupations avec de vrais gens que je pouvais voir.
Le soir même…
Mon grand ex-chef :
« Mais t’es dingue… tu LUI a posé un lapin ! »
« Euh… Faudrait pas renverser la situation, (celle-là aussi j’aurais dû me la tatouer sur une autre partie intime…), c’est lui qui m’a planté !!! »
Et finalement nous avons fini par nos rencontrer, et je lui ai encore plu, et là, il m’a proposé LE sésame, un CDI, que je me suis précipité d’accepter. Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Fin de l’histoire ?
Hmmm pas tout à fait, restez donc encore un peu.
Et j’ai démarré sur un chantier magnifique sur les Champs Elysées. Le responsable de ce site venait d’en finir un autre dont le nom de code était « le Georges V » !!!???
Je vous avais bien dit de retenir l’adresse. Vous la voyez venir ?
Cette patiente et géniale assistante n’avait pas imaginé une seconde que je ne pouvais pas connaître les noms de code de leurs chantiers et que « le GEORGES V » ne pouvait être pour moi que LE café de notre première rencontre.
Et donc, elle avait raison sur un point, ce Directeur m’attendait bien au George V, à 7h30…
Le seul bémol, c’est qu’il est d’une nature peu patiente et encore moins matinale et que, les rares présents sur le chantier à cette heure là, se sont fait copieusement engueuler par ce Directeur de Travaux irascible. Et tout ça ? A cause de moi et complètement à mon insu.
Autant vous dire que, quand j’ai raconté à mon nouveau patron que, c’est à moi qu’il devait cette petite engueulade, il a beaucoup rit…
…à chaque entretien d’évaluation de fin d’année…
…en biffant mon nom des listes de promotions…
(*) Lire l’épisode 3 : Un café, un croissant.
(**) Délégataire : Nom donné au responsable du chantier à qui la direction générale délègue une partie de ses pouvoirs. Il devient ainsi responsable de tout vis-à-vis de l’inspection du travail ou autres autorités tatillonnes.
Lyrkhan
Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.
Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.
J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.
Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.
Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.
Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.
L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.
il était temps que je l’écrive.
(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.
(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.
(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.
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