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EPISODE N° 37 – Je suis une légende


E37On ne rentre pas n’importe comment dans une école d’ingénieur.

Rien à voir avec un plan Vigipirate niveau rouge-vermillon-écarlate-cramoisi ou un quelconque dress-code obligeant le port de souliers vernis pour aller à la plage*.

Je parle des concours. Aah ! Les concours d’entrée aux « grandes écoles », quelle belle aventure !

Sélection surnaturelle de candidat(e)s effectuée sur des critères soi-disant objectifs, permettant de déterminer qui aura le droit de construire des ponts, diriger des usines d’armement, dessiner des moteurs d’avion ou élaborer la formule chimique du prochain papier Canson®.

En effet, il y a des écoles d’ingénieur pour à peu près tout et n’importe quoi, aux noms évocateurs et alléchants, comme : X, Mines ou Centrale. Avouez que cela donne envie de se battre non ? Tenez, il y a même une école Normale, par opposition aux autres, certainement…

« Et votre fils, il fait quoi ? »

« Centrale, depuis 2 ans, nous en sommes très fiers ! »

« Ah !? Et il sort bientôt ? »

« Normalement l’année prochaine, et il a déjà fait ses premiers stages chez Dassaut, c’est formidable »

« Ah ?! C’est bien, je ne savais pas que Dassault faisaient de la réinsertion ! »

« … »

Il y en a des plus exotiques comme « Papet’ » (prononcez Papète, sinon la blague suivante n’a vraiment plus aucun intérêt !).

« Papa, Maman ! Vous allez être contents, je suis reçu à Papet’ »

« Oh mon chéri, félicitations ! Mais tu viendras nous voir de temps en temps quand même ? »

« Bien sûr, maintenant c’est à trois heures de Paris, tu sais ! »

« Ah ?! Tu es sûr ? J’pensais qu’ça faisait un peu plus loin ! Tu feras attention aux requins mon grand ! »

« Aux requins… et aux avalanches ! Promis Maman. » 

« … »

Traduction pour les non-initiés : « Papet’ » est l’école Grenobloise de la Papeterie, plus joliment et officiellement appelée « L’École internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux ». Allez vérifier si vous ne me croyez pas !

Le principe des concours est d’évaluer la capacité de plusieurs milliers d’étudiants, à résoudre des problèmes aussi intéressants que déterminer si un espace mathématique muni d’un produit scalaire euclidien canonique et sa matrice jacobienne associée sont des fonctions polynomiales si et seulement s’il existe des couples x,y (appartenant à cet espace évidemment, sinon cela n’aurait aucun sens) vérifiant que leurs dérivées secondes croisées sont égales à 1.

Et vous aurez tout de suite reconnu qu’il s’agissait d’une extension des équations de Cauchy-Riemann ! Tant mieux, cela vous permettra d’aller plus vite, sinon vous allez y passer un peu de temps !!!

Et vous vous doutez bien que cela m’a été d’une grande utilité pendant toute ma vie professionnelle. Ah si ! Peut-être quand il m’a fallu résoudre un paradoxe spatio-temporel important**, mais, avouons-le, c’est assez rare !!! J’avais déjà suffisamment à faire avec mes propres problèmes de couples pour m’intéresser aux ébats de Cauchy-Riemann aussi importants fussent-ils pour la progression de nos connaissances scientifiques.

J’en ai une autre assez sympa, dans le genre, « utile-au-quotidien ». Il s’agit de calculer la hauteur à laquelle une balle de ping-pong saute hors de l’eau, si on la lâche du fond d’un tube à essai profond de 50 cm (pour autant qu’il soit assez large pour qu’on tienne ladite balle, cela va de soi).

Alors ? Hein ? Admettez, que, tous les étés, quand vous voyez jouer vos enfants dans la piscine, vous vous posez la question de savoir, à quelle hauteur va sauter votre benjamin quand son grand frère aura enlevé les pieds de sa tête pour lui prouver que l’on peut rester 7 min en apnée sans lésion majeure.

Mais revenons à nos moutons : Les concours.

On se retrouvait par centaines, dans des lieux d’examens assez folkloriques, comme des entrepôts de moquette désaffectés, des hangars à machine-outil sur le bord du canal de l’Ourcq ou des casemates héritées de l’armée américaine. Il en faut de la place pour loger tous ces jeunes boutonneux que nous étions, qui avaient sacrifiés leurs précédentes années à avaler de la formule mathématique à dose immodérée pendant que nos anciennes copines de lycées se jetaient dans les bras de ceux qui avaient le temps d’apprendre à jouer de la guitare.

Imaginez, des salles immenses avec des dizaines de tables alignées au cordeau, et des surveillants qui passent entre les tables s’assurer que personne ne triche de quelque manière que ce soit. Brrrr, j’en ai encore le frisson… Ce regard froid et inquisiteur sur ma nuque, j’avais l’impression, qu’ils me scannaient à chaque passage se marrant intérieurement de voir à quel point mes copies étaient blanches comparées à tant d’autres.

D’ailleurs, une des légendes de concours rapporte l’anecdote suivante.

L’histoire se passe lors d’une épreuve de mathématiques dite « appliquées ». Epreuve assez courte (2h, c’est relatif, parce que deux heures quand on sèche sur un sujet c’est aussi long que 3 min de Marguerite Duras) au cours de laquelle, il faut prendre un peu de recul et de réflexion. En effet, il y a souvent une façon élégante et rapide de résoudre le problème qui permet de finir à temps, sinon on se perd dans des méandres labyrinthiques inextricables.

Lors de cette épreuve, il fallait deviner que l’objectif était de dessiner un cercle. Evidemment, ce n’était pas dit aussi simplement, il fallait reconnaître les formules d’Euler à travers leur déguisement de lois de Fourier et autres Séries de Taylor… les plus physionomistes les avaient reconnues tout de suite et traçaient au compas les cercles en un tournemain et d’autres s’échinaient à dessiner point par point la courbe dont ils ne devinaient pas où elles les mèneraient.

Un des surveillants au grand cœur, passant dans les rangs voyait bien qu’il fallait tracer des cercles, et se prend de pitié pour un de ces élèves qui réinventait le pointillisme. Il se penche vers lui et demande : « Vous voulez que je demande un compas à un de vos collègues ? ». J’adore !

Mais le plus souvent, il faut bien admettre que les surveillants faisaient leur job à merveille et que l’on n’entendait pas une mouche voler. Et c’est le principe même du concours, car ton voisin est aussi cet ennemi qui risque de te piquer la place tant convoitée à l’ENSTBB ou à l’ENSIACET.

Ah si des fois on entendait chuchoter des :

« công thức của Cauchy-Riemann là gì? »

« một hàm đa thức polynomiale »

Cela émanait de quelques vietnamiens qui se retrouvaient voisins de table grâce à l’agencement alphabétique des rangées. (J’aurais pu la faire en Chinois, Marocain ou Guatémaltèque, n’y voyez aucune trace d’ostracisme de ma part)

Le surveillant se précipitait vers le groupe trop bavard et imposait le silence sous peine d’exclusion. Ce à quoi ils répondaient : « Mais je lui demande juste sa gomme !!! ». Et le surveillant, bien incapable d’imaginer que Cauchy-Riemann n’a jamais voulu dire gomme, repartait, soupçonneux mais impuissant maugréant des allusions nauséabondes sur les boat people qu’on aurait mieux fait de laisser chez eux.

Bon tout ça pour vous dire quoi ?

Récapitulons : les concours, les écoles aux noms débiles, les maths qui servent à rien dans la vraie vie, les énoncés folkloriques, les anecdotes avec les surveillants…  Ben voilà, c’est fini ! C’est fini ? Hmmm, il manque un petit truc non ?  Voyons voir… Ah ben le titre. « Je suis une légende » pourquoi ?

Eh eh, nous y voilà… Je me disais aussi !

J’ai passé les concours à l’époque où le Pirate de Polanski crevait nos écrans. Ce film avait marqué mon groupe d’amis et nous avait, entre autres influences, incité à goûter aux rhums perdus au fond des placards de nos parents, qui l’avaient probablement eux-mêmes hérité des leurs et ce depuis plusieurs générations. Les bouteilles étaient arrondies à l’ancienne, vous voyez ? Mais si ! Comme celles que le Capitaine Haddock retrouve dans l’épave de la Licorne dans le trésor de Rackham le Rouge ! Ah voilà, ça vous revient ! Le problème c’est qu’à force de goûter on a fini par vider les bouteilles, dont l’esthétique me séduisait tout autant que le contenu. Et j’avais donc gardé quelques bouteilles vides par devers moi.

Et un jour me vint l’idée farfelue de prendre une de ces bouteilles lors d’un concours. Je la posais, bien en évidence sur ma table (provocateur ? Non ! Une paille, tiens !). Et je m’y désaltérais régulièrement, buvant au goulot à la manière délicate des Pirates. J’espérais secrètement, qu’un surveillant vienne me faire une réflexion, pour lui en proposer une gorgée, et qu’il se confonde en excuses après avoir constaté que c’était de l’eau et non quelque boisson frelatée. Apparemment, passer les concours sous l’emprise de l’alcool n’est pas interdit, puisque jamais personne ne me fit la moindre réflexion pendant les quelques semaines que durèrent ces festivités.

La première année des concours, n’ayant pas permis aux jurys de reconnaître mon talent exceptionnel, il a fallu que je repasse les concours une seconde fois. (Je dis seconde, parce qu’il n’y a pas eu de troisième fois… Oui, je sais, c’est un peu puriste et conservateur, mais comme je viens d’apprendre que l’académie française avait validé « faut qu’on voye » et « ils croivent », je cherche un prétexte pour pousser un mini coup de gueule ! (Comment ? J’me la joue puriste et je fais des fautes énormes ? Ah oui ! Vous avez raison, si je les repasse il est superfétatoire de préciser le nombre de fois))

Donc j’ai repassé les concours ou je les ai passé une seconde fois – Je vous laisse choisir !

Et pendant que nous faisions la queue à l’entrée de l’ancienne chocolaterie qui nous servait de lieu d’examen, j’observais deux candidates qui discutaient quelques rangs devant moi. L’une d’elle repassait également et l’autre s’y collait apparemment pour la première fois. Et la première racontait peu ou prou ces mêmes présentes anecdotes espérant aguerrir son amie et néanmoins adversaire. Tout comme ces femmes ayant déjà vécu plusieurs accouchements ne peuvant s’empêcher de détailler leurs expériences les plus horribles à des primipares déjà bien suffisamment angoissées à l’idée de devoir faire sortir un truc braillant de 3 ou 4 kg de leur ventre distendu.

Bref, elle lui racontait, l’angoisse de la page blanche, le sujet farfelu et probablement hors programme pondu par un sadique, les passages de gommes illicites et autres joyeusetés.  

« Et tu sais la meilleure ? »

« Non ! Dis-moi »

« Y a un gars, qui venait avec des bouteilles de Rhum aux concours ! »

« Non ?!!! »

«  J’te jure, c’est vrai, et il s’enfilait deux ou trois bouteilles en 4 heures »

« Mais il devait repartir à quatre pattes »

« Même pas ! Droit comme un I ! Une véritable éponge polonaise »

« Il a du se faire recaler non ? »

« Non ! Et le mieux c’est qu’il a intégré Polytechnique dès la première année »

« J’te crois pas ! »

« J’te jure que c’est vrai ! J’y étais ».

Fabuleux, non ?

Tous les ingrédients étaient là, sous mes yeux : Un fait réel inhabituel, un soupçon de fantasme, une bonne dose d’enjolivement ajoutées par des narrateurs successifs et des personnes suffisamment crédules pour les croire et assez crédibles pour les colporter le plus sérieusement du monde.

J’ai ainsi vu ma propre légende naître sous mes yeux.

Je n’ai évidemment rien fait pour aller rétablir la vérité sur cet alcoolique génial, mais j’ai gardé de cette expérience, une méfiance absolue pour les histoires « j’te-jure-que-c’est-vrai ».


* Voir épisode n° 14 : Dress Code

** Voir épisode n° 30 : Ethique… Tac

Catégories :BTP Ecole

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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