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EPISODE N° 29 : Errabelle ou la Chronique d’une mort annoncée

LyrkhanEt d’abord, pourquoi « Errabelle » ? Ah ah !!

Seuls les ESTPiens* de plus de 40 ans peuvent éventuellement se rappeler de cette référence. C’est un peu comme si j’évoquais « l’Os à Moëlle » pour raviver la mémoire de nos grands-parents.

Quoi ? « l’Os à Moëlle » non plus ne vous dit rien !!! Là, c’est sûr, je vais ramer avant de commencer un tant soit peu à raconter l’histoire qui nous tiendra en haleine pendant les dix prochaines minutes.

« l’Os à Moëlle », est le journal crée par Pierre Dac, il était truffé d’annonces désopilantes (enfin pour ceux qui aiment, je n’oblige personne), comme « Cède bombe à retardement. Très très urgent… »  ou «Dame cherche nourrice aveugle pour enfant qui braille» !!! Ah !!! Vous voyez !!!

Ce « Ah vous voyez », est très intéressant car il permet à chacun de se dire « ah la vache, il est fort ». Oui, ceux que ça fait rire, se réfèreront à « désopilantes » et les autres à « je n’oblige personne ». Comme ça tout le monde s’y reconnaît. (Après le succès mondial de mes écrits, je compte aussi, faire coach humoristique pour aider les comiques en mal d’inspiration à trouver un second souffle).

Alors, « L’os à moëlle », pour les plus anciens d’entre vous, « Charlie » pour ceux qui me lisent encore et « Errabelle » pour les ESTPiens.

Errabelle était donc LE journal de l’ESTP, dont le secret du nom n’était transmis que de bouche de rédacteur en chef à oreille de rédacteur en chef. Donc, je ne vous dévoilerai pas le secret. Non, n’insistez pas, même sous la torture, je ne vous lacherai pas un mot. Et puis, surtout, inutile de me faire du mal, d’abord, j’ai horreur de ça, et ensuite, je ne me souviens absolument, mais alors absolument pas de ce dit secret !!!

Cependant, si vous y tenez, je dois pouvoir vous donner les coordonnées, de mon acolyte de l’époque, avec qui nous partagions la responsabilité du journal. (Hop, comme ça, je rends judicieusement hommage à mon équipier, et je fais diversion pour les tortures ! (Ouais, c’est pas joli joli, je sais, mais j’ai des enfants à nourrir…))

Il faut dire que nous n’avons pas eu de successeurs pour la reprise du journal, et il vécut avec nos derniers jours d’écoles, ses dernières parutions… snif… petite larme d’émotion. (Pour moi, bien sûr, parce que j’imagine bien que vous n’en n’avez pas grand-chose à faire de la mort du journal d’une école inconnue pour la majorité d’entre vous).

Signe des temps, en 90, déjà, les générations qui nous ont suivies, ont préférées un format 4 pages hebdomadaire et largement diffusé, à un 30 pages à édition limitée.

Entre imprimer un A3 plié en 2, et faire un tournage qui durait toute une nuit, il n’y a pas photo. (Il n’y avait pas de photos non plus !)

Un tournage ! Ah ce mot évoque en moi, quelques nuits blanches, très alcoolisées, en groupe. Pour que vous visualisiez mieux le topo je m’en vais vous décrire la scène (du tournage !!! Ouafff, ouafff).

Nous éditions Errabelle en 300 exemplaires, mais à l’époque pas de photocopieuse ou d’imprimante grand tirage. Uniquement une ronéo… Alors que ceux qui ne savent pas ce que c’est, aillent voir sur internet ! ils comprendront, au passage la référence à l’alcool et la pénibilité, voire la souffrance que représentait l’édition, d’un ouvrage de 30 pages à la ronéo. Le local d’édition n’étant d’ailleurs pas ventilé, je vous assure qu’il était formellement interdit de fumer (et pas à cause de M. Evin), au risque de se faire péter tout le bastringue à la figure.

Une fois ce travail de titan achevé, nous obtenions 30 tas de feuilles de 300 exemplaires chacun… Oui !!! Exactement, comme quand vous lancez 20 ex du contrat de M. de Masmaeker hyper urgent, pour votre chef chef, et que vous oubliez de cliquer sur la touche « assembler ». C’est énervant hein ? (Après coach en humour, je ferai aussi coach en « comment on fait pour ne pas s’énerver au travail avec du matériel qui fait rien qu’à nous embêter »).

Vous imaginez bien, que ce n’est pas avec nos petits bras que nous allions faire le tri de tout ce bazar. Nous invitions donc nos camarades de promo à « un tournage ».

En tant que responsable d’assoc, nous avions le droit de valider des absences pour les personnes qui donnaient de leur précieux temps pour la vie associative. Le tournage était donc l’occasion, pour les plus motivés, de s’octroyer des « bons pour absences » à des cours en amphis, voire même pour des Travaux Dirigés. Une soirée entre potes, contre un cours sur la mécanique des fluides, vous vous doutez du succès obtenu. C’est mieux que le « Blé contre Charbon » des années 50 !

Nous disposions les tas de feuilles sur des grandes tables, si possible dans l’ordre, et nous invitions nos chers convives à tourner autour de la table, comme une espèce de jeu de chaise musicale. Chacun prenait, au passage, une feuille et arrivé au bout, il nous remettait un exemplaire complet du journal, que nous nous empressions de relier, pour éviter qu’il s’envole sous l’effet des rotations de tout ce petit monde.

Au passage, en préparation aux années d’alcoolisme professionnel qui suivraient, on avait le droit à un ptit verre. Raison supplémentaire pour relier vite, tant que les exemplaires qui nous parvenaient étaient, complets, à peu près à l’endroit et encore secs.

Vous comprenez, qu’il fallait que nous fussions nombreux, pour que cela aille relativement vite, parce que ceux qui faisaient trop de tours, se lassaient vite !!!

Mais, bon an mal an, (oui, je la tiens de ma grand-mère, cette expression, alors respect s’il vous plait), on avait quelques fidèles, et un renouvellement régulier de main d’œuvre saisonnière. (D’ailleurs, plus souvent à l’approche des partiels, étonnant non ?)

Jusqu’au jour où, tout finit par se gâter…

Evidemment, comme tout privilège, lorsqu’on en abuse, il finit par y avoir des jaloux qui revendiquent et qui contestent, et qui retournent leurs vestes… En l’occurrence, ils sont allés voir le directeur des études, en arguant, qu’il était intolérable que certains traine-savates, soient exemptés de corvées de cours sous le prétexte fallacieux qu’ils tournaient le journal, fut-il formidable (le journal pas les traine-savates) et nécessaire à la bonne humeur générale.

Et hop, dans ce cas ce sont toujours les cireurs de chaussures qui ont la peau des va-nu-pieds. (Oui, j’ai une inspiration pédestre aujourd’hui). Donc abolition des privilèges : Plus d’exemption de cours pour les associations ! C’est dit, c’est appliqué dans la foulée… Une espèce de 49.3, sauf que nous n’avions de toutes façons pas notre mot à dire.

Cela sonnait, dans l’instant la fin des tournages. Plus de bras,…

Et comme disait Coluche, est-ce-que c’est parce que nous n’avions rien à dire, que nous allions nous taire ? (C’est Coluche ou Raymond Devos, tiens d’ailleurs ?). Non, bien évidemment… Nous avions nos armes, le journal…

En rédacteurs en chefs éclairés nous avons rameutés nos troupes et fourbi notre plan de riposte : Un journal entièrement dédié à la lutte contre l’abolition des privilèges et de l’esclavagisme auquel nous étions soumis, à la dénonciation des cadences infernales, à la mise en lumière des pratiques odieuses du grand patronat, au refus de nos conditions de travail exécrables !

Bref, on comptait ben se faire entendre… Et le journal débordait d’idées aussi fondamentales que « Oui, aux frites à la cantine ! », « Non aux grèves de la RATP, qui nous privaient régulièrement de RER entre Saint Michel et Cachan » et accessoirement un magnifique article prouvant que des élèves se sentant bien donneront le meilleur d’eux-mêmes.

Pour couronner le tout, il fallait une couverture choc qui fasse bien comprendre, le degré de colère qui nous animait, et combien nous étions prêts à lutter, pour sauvegarder notre outil de travail.

Ah c’est sûr que cette Une a fait parler d’elle… Rétrospectivement, je dois bien avouer que… Non je dis rien, je vous laisse juger par vous-même.

Une couverture en noir et blanc, avec des palissades et des barbelés. Derrière ces barbelés, des élèves en costumes de bagnards rayés. Prisonniers surveillés par deux gardes juchés sur des miradors. Et pour couronner le tout, les gardes étaient des caricatures du directeur des études et son adjoint, habillés en SS.

Ok, je vous l’accorde, ce n’est vraiment pas du meilleur goût, mais franchement, même trente-cinq après, je dois avouer qu’on s’est vraiment bien marré en le dessinant.

Evidemment, nous n’avions pas le même humour !!!

Convocation immédiate à la Direction, confiscation de tous les exemplaires disponibles et mise sous surveillance de la ligne éditoriale du journal.

Comme ils payaient le papier et l’encre de la ronéo, le deal était limpide : Accepter de passer en comité de lecture avant édition ou laisser la place à des moins frondeurs.

C’est intéressant, non ? Quoi ? Eh bien, le fait qu’un financier puisse influencer une ligne éditoriale par le simple fait de couper les bourses (j’ai dit les bourses par les c…).

Nous n’avions d’autres choix que de nous soumettre ou nous démettre, et…

Nous soumettre ? Et puis quoi encore ?!!

Tu parles, foutus pour foutus, on s’est définitivement lâchés dès le numéro suivant : un Spécial Q, fabriqué au nez et à la barbe de la direction.

Comment nous avions déjoué nos censeurs ? Simple, un recto, tout beau tout propre…

Et un verso totalement trash, avec une quatrième de couverture parfaitement indescriptible !

« Ah ? On n’aurait présenté que le côté face en comité de relecture ? »

« … »

« Ah ? Vous êtes sûrs ? On aurait oublié la face cachée ?  »

« … »

« Bon, si vous l’dites, pourtant c’est pas notre genre !!! »

« … »

Et c’est ainsi que s’achève l’histoire d’Errabelle et accessoirement de cet épisode !



* ESTPien(ne) : Elève généralement brillant de la non moins brillante école  spéciale des travaux publics. Je vous suggère la lecture de l’EPISODE N°1 : La genèse pour vous faire une idée .

Catégories :BTP Ecole

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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