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EPISODE N° 15 : Rapide et Efficace

LyrkhanLa tour CB31 est LA tour la plus haute de France. (Convenez que mes introductions sont percutantes, non ?).

Alors que finalement tout le monde s’en fout royalement, parce qu’à part la Tour Eiffel, connaître la tour plus haute de France est à peu près aussi important que de se rappeler comment s’appelle le chien de Mireille Darc (Ah bon, elle a un chien ? Mais oui, suis un peu ! Ah ? t’es sur ? C’est pas une chienne plutôt ?!) ou de savoir que Ghandi est né un Samedi ! (Allez vérifier si vous ne me croyez pas !)

Au cours de ce chantier j’ai rencontré la personne la plus rapide et efficace qu’il m’ait été donné de croiser… Preuve à l’appui

Au début de cette belle aventure, on n’imaginait pas encore qu’elle serait belle, et franchement, on avait plutôt les chocottes. Le marin qui hissait les voiles de la Santa Maria, vous pensez vraiment qu’il espérait découvrir l’Amérique ou qu’il rêvait juste d’échapper au Scorbut et aux requins, pour toucher son salaire au retour ?

Nous, on pensait échapper aux requins du Maître d’Ouvrage, assistés de leurs poissons pilotes de Maîtrise d’Oeuvre (je ne cite volontairement aucune entreprise pour éviter que, le jour où je serai publié, ils se reconnaissent et m’envoie une fatwa… je n’ai pas les moyens de me payer un flic à plein temps pour me protéger surtout quand on voit à quoi ça sert). Ces prédateurs nous effrayaient, nous les pauv’p’tits constructeurs tous gentils malgré notre réputation de tueurs de clients et de sous-traitants.

Une anecdote gratuite au passage : Je fais visiter le chantier à un ami accompagné d’une avocate avec laquelle il travaillait. J’explique le type de marché que nous avions signé qui nous avait permis de démarrer le chantier rapidement et assurait au client un résultat garanti, aussi sec, elle me rétorque : « Ah oui, votre contrat d’enculés… sic ». Il est resté mon ami, mais elle a été coulée dans les fondations de la tour.

Grosse méfiance réciproque comme vous pouvez l’imaginer, et chaque petit sujet devenait une affaire d’état, tant, chacun pensait que l’autre en voulait à sa virginité anale et se disait que c’est le premier qui … (TUUUUUUUUT) (mais c’est fini oui cette vulgarité ?!!). (Oui, mais je trouve que ça illustre bien l’ambiance) (NON pas de vulgarité ici) (même pas un peu ???) (J’AI DIT NOOONNN!!!!) (bon ok.. alors je me tais…) …. (Ah non mais, c’est un monde ça, obligé de crier pour se faire obeir, c’est incroyable…)

Tout ça pour dire qu’avec l’état d’esprit qui nous habitait (je me méfie, on m’a dit ‘pas de vulgarité’, j’essaie d’obéir), chaque petit sujet devenait un enjeu majeur qui mobilisait le banc et l’arrière banc de nos entreprises respectives.

Pour illustrer ce point, et sans vouloir être trop technichiant : On avait un gros trou à faire au pied de la tour, un trou dans de la terre, et avant de faire le trou on voulait être sur que cette terre n’était pas polluée… (Pouf pouf, on voulait surtout savoir combien elle était polluée, parce que de la terre au pied du circulaire depuis plus de trente ans, je ne vous la conseille pas en masque de nuit !).

Y en un a qui dit : « Faut aller faire des sondages » et tout le monde répond « OK », alors on envoie une mini-pelle faire des trous, ramener des échantillons de terre et les envoyer au labo (on dirait Michel Chevalet nous raconter la mission Explorer sur Mars).

Remarquez, avec Mars, je ne me trompe pas trop. Vous allez voir…

On envoie un terrassier au bout du chantier et il commence son trou. Quelques instants après le téléphone sonne, et un type nous appelle un peu anxieux…

« C’est vous qui faites des trous au pied de la tour ? »

« ??? » (chhhht les gars, déconnez pas, on est sous surveillance…une branche secrète de Greenpeace tu crois ?!! …)

« Allo, c’est vous ? Répondez… Votre type est en danger… »

« ??? » (mais quel est le con qui a décroché…)

« Je vous préviens, j’appelle la police tout de suite, je suis sérieux »

« ??? » (s’il compte appeler les flics, c’est surement qu’il ne nous veut pas de mal)

« Oui ???? »

« Ah… Enfin,… j’appelle de la tour RTE, juste au-dessus de votre gars avec sa pelle»

« Oui, c’est pourquoi ???? »

«Eh bien, pile à l’endroit où il creuse, il y a un câble Très Haute Tension qui ceinture toute la défense, c’est du 2×160.000 Volts »

« Ah ? Vous êtes sûr ? »

«Si je suis sûr ? Evidemment… C’est moi qui l’ai posé… il y a trente ans !»

« Oh Putain !!! Grouille l’arrêter, nom de Dieu !» (Erf ça m’a échappé)  « Oh flute, courrez stopper cette personne, enfin »

Vous comprenez l’allusion à Mars. Non ? S’il avait touché les câbles, le type aurait été satellisé instantanément (plus facile à dire qu’à écrire quand on est dyslexique « instantanément » ).

Pour les néophytes, ces câbles alimentent l’ensemble des tours de la Défense, et pour éviter qu’ils chauffent, ils sont dans un caniveau d’huile qui assure leur maintien en température. Oui, Exactement ! Comme les câbles que le spécialiste de l’électronique va couper pour faire le casse du siècle dans Ocean 11 (Bravo ! Quelle culture cinématographique !) Compris ? Vous voulez que j’illustre encore ? En gros, les gars, à l’époque, ont construit ces caniveaux, mis les câbles dedans et construit la défense autour (certains même prétendent qu’ils ont enterré l’architecte pour qu’il ne révèle pas les secrets de la construction, mais cela reste une légende…)

Remis de notre stupeur initiale, nous reprenons bien vite nos esprits et retournons voir nos amis prédateurs, le triomphe au coin de notre mufle de carnassiers égorgeurs de clients. Nous tenions de quoi les faire sauter à la corde.

« C’est balot ! Il y a un gros câble qui va nous empêcher de démarrer les travaux ! C’est dommage hein ? Faudra qu’on vous dise combien ça coûte, on est vraiment désolé. (gnark gnark gnark… je fais bien la hyène ?)

« Ah? que nenni… Dans votre contrat vous devez tout… » (Je fais bien la hyène en cravate ?)

« Alors là, mon bonhomme trouve moi dans ton contrat où t’avais prévu deux câbles de 200.000 Volts (oui c’est plus, mais c’est normal c’est l’inflation) qui passent dans le parking que l’on doit creuser»

« Ah? que nenni… ……. » Je vous abrège les discussions sans fin. Le temps passait et, de toute façon, qui que ce soit qui devait payer, il fallait bien que ces câbles bougeassent et le plus vite était le mieux, car chaque semaine de chantier arrêté valait un pavillon en vallée de Chevreuse.

Et un jour, notre sauveur arrive ! Un requin, un peu plus requin que les autres, brandit une feuille et dit : « C’est bon arrêtez de vous battre… J’ai résolu le problème ! »

Les requins : « Bravoooo Hourra… »

Les Hyènes : «  Merde… Comment il a fait ce con ? »

Le super requin : « Voilà, j’ai envoyé un recommandé à EDF et je les ai mis en demeure de déplacer leurs câbles sous 8 jours. Voilà! Il suffisait d’y penser !  A qui on dit merci ? »

Les Hyènes : « Bravo Hourra… on va pouvoir continuer à s’engueuler »

Les requins : « Merde… comment il fait pour être aussi con ?»

Bref, voilà comment être rapide et efficace ! Lui, le chantier, il l’a fini en 8 jours (précision : il a eu 8 jours pour partir).

PS : Et je ne vous dirai pas comment on a fait pour bouger ce câble… na na nère,… zaviez qu’à être là…

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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