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EPISODE N°2 : Et ça vous fait rire ?

La théorie c’est bien.

La mise en pratique est une épreuve tout aussi formatrice. Le premier jour on se sent fort, très fort, voire invincible.

Quoi que…

Mon premier stage sur chantier…

Je l’avais décroché au hasard d’un forum étudiant, où, après avoir servi un verre à un gars, il me demande « tu cherches un stage ?»

[  ] – « Ben oui patate, sinon je ne serais pas là au milieu de la foule à servir des types pour faire style : ‘on est la plus belle école du monde’ »

[  ] – « Oui, bien sûr, c’est une opportunité de découvrir le monde du BTP, et de m’enrichir personnellement et professionnellement »

Cocher la bonne réponse…

Ni une, ni deux, ce quadra bellâtre à gourmette, fouille dans sa poche et en ressort une carte de visite avec un logo et un om d’entreprise que je n’avais jamais  vu auparavant, mais qui sentait bon le terroir et le savoir-faire. (j’achète le vin qui a la plus belle étiquette, alors ne vous étonnez pas que je choisisse mon employeur à la couleur de son logo)

Il brandit le sésame et m’invite à lui laisser mes coordonnées et à l’appeler dès le lendemain. Fastoche, et après il y a des journalistes qui disent que c’est compliqué de trouver un stage. Autant vous dire que je n’avais nullement l’intention de perdre plus de temps, j’ai plié mes gaules et retour au Boulevard Saint Germain pour voir si j’y trouverais une fille qui aime les gars qui passent des heures à jouer à Tetris… Je vous laisse chercher la réponse…

Donc voilà le mois de Juillet qui arrive et Je me rends fièrement à mon stage sur un chantier à La patte d’oie d’Herblay… Je vous invite à aller voir sur internet la beauté transcendantale de ce quartier. Et le lieu précis est « ZAC de la patte d’oie » tout un programme. Et d’ailleurs le programme était de construire quelques hangars pour y loger des boutiques au nom prestigieux « Connexion, la Halle aux chaussures, etc… ». Hmmm, gros doute, j’aurais peut-être mieux fait de m’y intéresser à cette recherche de stage finalement. Surtout que l’année d’avant j’avais participé à la mise en service d’une centrale nucléaire dans la région centre avec le fleuron de l’ingénierie française qui, quand ils ne calculaient pas, savaient savourer les grands Bourgognes et les côtes de bœuf…

Je m’égare,… J’arrive, dans une espèce de champ, à peine défriché, et le patron du chantier m’accueille et m’annonce : « voilà ton bébé, 10.000 m² de bâtiments industriels (oui un hangar en langage architectural ça s’appelle un bâtiment industriel (comme un escalier s’appelle une circulation verticale, ou un raté flagrant, un geste architectural…))». Fatigué et assourdi par deux heures de route en 2CV dans les embouteillages je me dis que j’ai mal entendu il a dû vouloir dire « MON bébé », j’ai les oreilles qui sifflent encore.

Je lui fais répéter, et il m’explique, non c’est bien ton bébé, enfin pour les 3 semaines qui arrivent, je pars en vacances ce soir, je t’ai laissé une liste des choses à faire, je suis sûr que tu débrouilleras et normalement notre directeur de travaux devrait passer voir si tout va bien. (Je crois qu’il « devrait » toujours »…)

Mon gars, tu voulais de l’action, tu vas être servi.

Je vous passe les quelques anecdotes croustillantes, comme celle où je me suis fait tirer la moitié du matériel par les ferrailleurs qui campaient en face de la N14.

Celle où des gars du PC (le Parti Communiste hein pas les Poètes Constructeurs ou les Pionnier Canadiens) viennent me voir pour que j’achète des tickets pour la fête de l’huma.

« Oui, j’en veux bien deux, je trouverai bien une copine d’ici là. »
« Ah Ah, il est marrant le gamin… On n’est pas des détaillants nous, c’est 200 qu’il faut que tu en prennes… »
« Ah Ah ils sont marrants les trois balèzes… et comment je trouve 199 copines moi ? » (Meetic n’existait pas encore, il y avait bien 3615 Ulla, mais ça compte pas)
Il faut se rendre à l’évidence : ils sont sérieux et la meilleure solution quand on pèse 70 kg face à 3 molosses : céder.

J’appelle le siège, qui me dis

« Mais oui bien sûr pourquoi vous discutez ? »
« … Euh parce que j’ai pas un rond moi et je m’en fous de la fête de l’huma » (c’est vrai quoi, il pleut tout le temps et j’ai horreur de Renaud)
« Tu fais un chèque et tu te ramènes ici qu’on te rembourse »
« Bon d’accord si c’est un ordre… »
Hormis ces quelques désagréments, je m’en sortais plutôt bien et la liste laissée par mon « chef-en-vacances » s’éclaircissait rapidement. La ligne suivante étant : « Appeler Sharky de Dallage & Co et lui montrer que son dallage est dégueulasse et fissure de partout… »

Hop hop hop…

« Allo M. Sharky ?”
« RADIOCOM 2000, ne quittez pas, nous recherchons votre correspondant,… RADIOCOM 2000,… »
« chsshshdrht OUI !?!!!!, c’est qui ? vous voulez quoi ? »
« eh bien… je vous appelle de la part de Jacques… »
« chsdqzerhzhs qui ?, Ah Jacques, il veut quoi ce con ? »  (Bien bien bien, voilà qui s’annonce facile facile)
« euuhhh, vous dire que, enfin, il semblerait que, votre dallage ait des défauts. »
« chzerhzrhzs QUOI ? Il est pas gonflé ce con ! J’arrive, je suis là dans 2 minutes. »
« euuuhhhh, mais ce n’est pas grave à ce point… »
« Bip bip bip… »
Il avait déjà raccroché

Je peux vous dire que ce ne sont pas les 35° de ce mois de juillet surchauffant l’atmosphère du bungalow d’occase récupéré dans les surplus des armées soviétiques qui me faisaient transpirer.

Au ton, à la voix, on voyait immédiatement que je n’aurai pas à faire à un tendre, non c’était plutôt du genre impulsif à tendance caractérielle prononcée.

En deux mots je me sentais aussi à l’aise que Raoul Volfoni quand il attend le retour de Lino Ventura et son bourre pif pour avoir osé médire…

Il me restait deux minutes à vivre, que faire ?

Quand on se pose cette question, « qu’est-ce que je ferais si je savais qu’il me reste peu de temps à vivre ? », on pense à plein de trucs sympas, faire le tour du monde, se payer de bonnes bouteilles, déclamer des poèmes de Marguerite Duras nu sur une plage face à la mer (non ? Pas vous ? C’est dommage, essayez, vous m’en direz des nouvelles) en tout cas on pense à tout sauf à les passer sur un chantier de bâtiment au fond de la patte d’oie d’Herblay où même les corbeaux volent bas tellement la terre est triste.

Finalement il avait quoi ce dallage hein ? il était largement suffisant pour recevoir des milliers de belles chaussures faites par des enfants de 5 ans aux yeux rougis non pas par l’émotion que procure un travail artisanal bien fait, mais par les vapeurs de Trichlo frelaté.

Revenons à nos moutons.

Je ne voyais absolument pas ce que ce dallage avait. A part des découpes propres, en pointe diamant, autour des poteaux (rectangulaires ceux-là). Non franchement il était, au moins à mon sens et eu égard à ce qui m’attendait, très bien ce dallage industriel, future caution des pires effets du mondialisme sur les populations pauvres et abruties par la publicité.

Perdu dans ces pensées enthousiasmantes, je sursaute en entendant un gros 4×4 freiner dans un nuage de poussière et là… qu’est-ce que je vois sortir ?!

Un géant… Un bon 2m, très large, au moins 140 kg, avec un cigare à sa taille… Qu’est-ce qu’on se sent petit, tout, mais alors tout petit.

« Monsieur Sharky ? »
« Oui ! Il est où Jacques ? »
« En Martinique je crois… »
« Il se fout de moi ou quoi ? Bon ben puisque t’es là, vas-y, dis-moi ce qui se passe »

Je vous la fait rapide : entre moi qui ne savait pas ce qu’il y avait à montrer et lui qui de toutes façons ne voyait rien à reprocher à son beau dallage ;  On avait l’air de deux archéologues du dallage, cherchant des preuves de la vie sur Mars tellement on le scrutait ce dallage.

Et puis au bout de 5 minutes, il tonne

« Bon allez pas que ça  à faire moi, on rentre au bungalow j’ai soif»
« Mais bien sûr quelle bonne idée »
Je vais chercher de l’eau… à 10h00 avec la chaleur qu’il faisait cela me paraissait approprié. Quelle erreur.

« Tu veux me tuer ou quoi ? Amène-moi un whisky plutôt. »
Voyant bien que j’ignorais

1/ Si c’était une bonne idée (je n’ai pas eu la chance d’avoir des parents bretons qui m’ont donné une bonne éducation

2/ Où j’allais pouvoir trouver du sky…

Il me guida :

« Deuxième tiroir… »
« ? »
« Deuxième tiroir… c’est là que Jacques range les bouteilles »
« Ah ben oui, bien sûr, vous avez raison dites donc… »
Je sers… 1 verre, tente d’échapper sans aucun succès à l’obligation d’en servir un deuxième (ne cherchez pas, il n’y aucun autre intervenant dans cette histoire et les gars du PC étaient déjà partis (PC partis… ouaf ouaf)) et nous voilà, moi à tremper le bout des lèvres dans un breuvage brûlant par la puissance de l’alcool et lui, à avaler une bonne rasade avec un grand claquement de langue, tout comme dans les films.

Et là, après avoir savouré la brûlure de chacune des gouttes que je sentais descendre dans mon estomac, j’ai trouvé le courage de lui demander :

« Et donc pour le dallage ? On fait quoi ? »
Vous apprécierez la puissance de la relance, l’emploi du « on » pour ne pas fâcher et l’ouverture de la question.

Et là, il me regarde intensément et explose de rire :

« Détends toi mon gars… Je déconne : Jacques m’avait bien dit qu’il te trouvait pas mauvais, il a raison le con»….
C’était un bizutage…

Et souvent, quand des big-boss colériques partent en vrille, et que je retrouve cette sensation de « il me reste 2min à vivre », et je me dis, « quand est-ce qu’il va passer au mode ‘je blaguais ?’ »

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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