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EPISODE N° 49 – Money Time

E49

Tiens, dites donc je me trompe où je n’ai jamais dédié d’épisode à l’argent ?

Je ne vous parle pas de mon salaire indécent (seulement aux yeux de ma hiérarchie je vous rassure, parce que ma banquière trouve qu’il manquerait plutôt un zéro (et d’ailleurs, je devrais lui demander de m’assister à la prochaine négo de salaire, je suis sûr qu’elle sera plus persuasive que moi)).

C’est significatif, parce qu’en tentant de rédiger cette introduction, je me rends compte qu’à l’instant précis où j’essaie d’ordonner et mettre noir sur blanc la masse d’anecdotes relatives à l’argent que j’ai accumulées (les anecdotes pas l’argent !) je me censure, tellement ce sujet relève de l’interdit !!!

L’argent dans le BTP, ça serait un peu comme le dopage dans le cyclisme ? Dans l’esprit collectif, c’est un milieu pourri, magouille et compagnie et seuls ceux qui ne se font pas choper peuvent prétendre être clean !!! Evidemment, quand on allume la radio et que l’on entend que c’est le BTP qui fournit tout le travail clandestin, que le Polonais qui détruit nos emplois est plombier, que c’est une boîte de BTP qui finançait les parties fines (entre adultes consentants bien sûr) de notre DSK fétiche (iste ?), il n’y a pas loin à penser que tout cela est vrai. (Pas de fumée sans feu… Qu’est-ce qu’elle est nocive celle-là (la métaphore pas la fumée (la métaphore est nocive, pas la fumée (enfin la fumée dans cette acception parce que sinon oui bien sûr c’est nocif de fumer, ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit)))).

Si l’on remonte quelques années en arrière, il y avait aussi les différents scandales de financement des partis, dans lesquels le BTP a bien tenu son rang, je vous remercie d’y avoir pensé plus fort que moi.

Enfin bref, oui certainement, il y a de l’argent  sale, certainement il y a des magouilleurs, mais j’imagine à peu près autant que dans de nombreux secteurs. Comme vous connaissez mon amour immodéré pour les amalgames et les « je mets tout le monde dans le même panier parce que c’est plus facile pour dormir tranquille quand j’éteins la télé après le 20h », je ne m’étendrai donc pas plus sur ces sujets. Pourquoi ? Parce que je n’ai aucune révélation à faire, parce que pour le vivre de l’intérieur, je peux vous affirmer que si des pratiques frauduleuses existent dans les grands groupes elles sont de l’initiative d’individus malveillants et non « en bande organisée » suivant le terme juridique approprié.

Voilà, maintenant que j’ai nettoyé les écuries d’Augias, je vais pouvoir vous en dire un peu plus sur le sujet de fond.

Parlons d’abord du modèle économique du Bâtiment. C’est, à ma connaissance, le seul métier de production pour lequel tu es payé avant même d’avoir fini le boulot. C’est un peu choquant dit comme ça, non ? Oui, à la différence des autres secteurs industriels, on ne commence à construire que quand on s’est mis d’accord avec un client pour qu’il paie la construction. On n’achète donc les matériaux et matériels nécessaires que quand on a une commande et pas avant. Et comme on est payé au fur et à mesure de la construction, si « t’y paies pas », le chantier « y s’arrête » et on dépense plus de sous.

Tiens, petite illustration. J’avais un chef, il y a de très nombreuses années (non pas que je n’en n’ai plus aujourd’hui, mais c’était il y a longtemps, c’est ce que je voulais dire), qui avait souvent travaillé à l’export dans des contrées où l’économie locale pouvait subitement s’arrêter au gré des putschs et  autres remaniements ministériels de massifs et inopinés. Cette précarité gouvernementale avait des répercutions sur les grands chantiers d’état sur lesquels il travaillait. Il pouvait ainsi arriver, avec une probabilité non négligeable, que du jour au lendemain, la construction de l’hôpital ne soit plus une priorité et que tout paiement s’assèche aussi vite qu’un verre de rosé devant un barbecue entre potes. Qu’à cela ne tienne, on arrête le chantier rapidement, on renvoie tous les emplois locaux à la maison et on rapatrie les expats’ sur d’autres sites à la météo financière plus clémente.

Il avait gardé ce réflexe en revenant en France et cela avait provoqué quelques électrochocs chez des clients qui voyaient leur chantier déserté à la première traite (comme pour les vaches oui c’est ça !) en retard.

Donc aucun risque de se retrouver avec des stocks de voitures invendues, des amoncellements de machines à laver cherchant un foyer aimant ou des montagnes de meubles qu’aucun Edmund Hillary n’irait gravir (de toute façon où il est, il ne gravira plus grand-chose).

Puisque l’on parle de « on paie au fur et à mesure », petit tour par les devis de travaux supplémentaires…

Aaaah, je sentais bien que vous m’attendiez sur le sujet. Non ? Ben tiens ! « Les entrepreneurs, c’est comme les garagistes, tous des arnaqueurs, il y a toujours une bonne raison pour te faire raquer !!! » me dites pas que vous ne l’avez jamais entendu !

Alors soyons clairs, c’est pas faux ! Mais !

C’est pas faux, que la pratique du « ben ça c’était pas prévu dans le devis ma p’tite dame » est une réalité assez insupportable. C’est chiant non ? Oui, je suis d’accord et non seulement je ne supporte pas quand on essaie de me le faire, mais je supporte encore moins quand je le vois faire par des collègues.

« Ben là va falloir mettre des HEA de 180 au lieu des HEA de 160 prévus à l’étude et renforcer les éclissages des pannes entre les faîtières et les entretoises, c’est à cause du bureau de contrôle qui veut pas parce qu’y pense que ça va pas tenir. Et je vous fait grâce des échantignoles qui vont bigner avec les contrefiches et les solivettes, si on stabilise pas avec des arbalétriers en carbure de tungstène »

« Ah ? Et c’est quoi ? Vos HEA ? et vos… ? Comment qu’vous dites ? »

« Vous occupez pas ! En tout cas faut nous les payer maintenant qu’on les a mis »

« Mais vous auriez pu me demander avant de le poser ?! »

« Bah vous êtes drôle vous, vous vous plaignez qu’on avance pas et maintenant on s’ferait presque engueuler parce qu’on va trop vite ! »

« Mais c’est pas ça, mais j’ai pas d’argent à rajouter moi »

« Hola, vous inquiétez pas, c’est trois fois rien, j’vous ferai un prix d’ami, parce que vous m’êtes sympathique »

« Mais, j’veux pas un prix d’ami, j’m’en fout d’vous être sympathique ! Je veux juste que vous respectiez votre contrat, je veux un bâtiment qui tienne et pour le prix convenu »

« Faut pas vous énerver, mais le devis vous l’avez bien signé et il y avait bien des HEA de 160 et non de 180. Regardez, page 273/486, vous voyez c’est écrit là (PDA* : ah oui dans les voleurs, il y a assureur aussi) HEA 160. »

« Ok, mais j’y connais rien moi, vous auriez tout aussi bien pu le construire en allumettes, que j’aurais signé tout pareil. C’est votre boulot pas le mien. »

« Oui, ben nous on nous a fait poser du 180 et vous paierez du 180. »

« Oh dites-donc, voyez ce que j’lis là…. »

« Quoi ?! »

« p 3/486 du devis il y a écrit que vous alliez mettre du marbre italien dans la salle de bains… »

« Et ? »

« ben, …et pas du carrelage à deux balles de chez Casto, faudra penser à faire la moins-value et me rendre les sous non ? »

« Oh ça ?!, c’est une coquille de notre assistante, on l’a viré depuis. Non, non à ce prix-là c’est bien du carrelage, pas du marbre, il y a pas de moins-value à faire »

« Et vous seriez pas en train de me prendre gentiment pour une conne »

« Alors là, si vous commencez les insultes, on quitte le chantier »

Et la discussion peut durer des années, mais vous aurez compris l’essentiel. Et pour ceux que ça intéresserait, je peux donner quelques cours dans un sens comme dans l’autre. Oui, je peux faire deux modules : « Comment bien argumenter ses travaux supplémentaires » et « Comment bien argumenter pour ne pas avoir de travaux supplémentaires ».

Bon c’est pas tout c’est pas tout ça mais va falloir songer à conclure le sujet non ?

Exact.

Finissons-en avec les travaux supp tiens. C’est une anecdote que l’on m’a rapportée, je ne sais si elle est véridique, mais ce que je connais du tempérament des protagonistes peut le laisser supposer. Je vous plante le décor vite fait : Fin de chantier, chacun des fournisseurs présente ses factures pour les travaux supp et on négocie ceux qui sont validés ou non. Comme côté client, on l’a déjà essoré et donc on n’aura pas un rond de plus, tout ce qui est payé à nos chers partenaires sous-traitants est directement de la marge en moins. Donc aucune pression comme vous pouvez le constater.

Dialogue entre un Directeur de travaux bourru et mal léché (qui avait un adage : un bon client est un client mort… ) et une jeune conductrice de travaux encore naïve.

« Mais crénom de crénom, mais quel est le con qui a signé ce devis ? »

« La conne, c’est moi chef »

« Mais, tu ne vas pas bien, il est hors de question de lui payer ça, à ce bon à rien de peintre »

« Mais, il l’a fait le boulot, et j’ai vérifié le devis, c’est normal »

« Mais que dalle, on va rien lui payer à ce branquignole de fête foraine »

« Mais je me suis engagé, je lui ai déjà dit oui »

« M’en fous, tu retournes voir ce zigomar à poils durs, tu lui dis que je suis pas d’accord et puis c’est tout. »

« Mais enfin ! Une il a fait le boulot et Deux je lui ai donné mon accord et Trois si je veux garder un minimum de respect, je peux pas retourner le voir. »

« Alors c’est moi qui l’appelle ! »

« Mais… »

L’avantage, en ces temps reculés où le portable n’existait pas, était qu’il fallait chercher sur un répertoire en papier, plus ou moins bien tenu, les numéros des gens que l’on souhaitait contacter. Et dans notre cas, cela laissait quelques instants de réflexions…

« Merde, j’ai écrit quoi là ? C’est un 5 ou un 4 ? J’arrive pas à me relire »

« Attendez, pas besoin de l’appeler. »

Et pendant que le barbu a le nez plongé dans son répertoire, notre conductrice fouille dans son sac à main du fond duquel elle extirpe (celui qui a dit, on ne trouve jamais rien de bien intéressant dans le sac d’une femme sorte immédiatement) sa carte bleue et la brandit rageusement sous le nez du nounours ronchon.

« Bon soyons clairs ! JE me suis engagé pour l’entreprise et J’assumerai. Moi tes économies à deux balles sur le dos des autres ne me font pas marrer.»

« Ben tu comptes faire quoi avec ta carte ? Me découper le couenne avec la tranche jusqu’à ce que je cède sous la douleur ? »

« Pas du tout, soit tu tu signes le devis et c’est la boîte qui le paie, soit c’est moi !!! Choisis !»

Une légende prétend qu’il aurait marmonné en signant le devis :  « t’as des couilles toi, ça me plait ! », mais cela reste une légende…

 


 

PDA : Abréviation de : Pensée De l’Auteur – au moment où il écrit et qu’il trouve judicieux de la placer immédiatement parce que sinon il va l’oublier.

PPDA : Etymologiquement : Pas De Pensée de l’Auteur qui est devenu, par extension, le surnom d’un des journalistes réputé du XXème siècle qui se fit la figure emblématique de ce mouvement néo-culturel du j’occupe l’espace public sans aucune pensée personnelle.

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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