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EPISODE N° 47 – Intuitions

E47_1 J’ai l’intuition, qu’à chaque fois qu’un manager dit « je ne sais pas » il ouvre une porte pour la créativité et l’innovation.

Evidemment, ce n’est qu’une intuition. Je peux toujours me tromper, mais…

…Mais laissez-vous pénétrer par cette idée. (Oh oui ça va…). Laissez-votre propre intuition s’ouvrir au champ des possibles que cet aveu de faiblesse fertilise.

Essayez d’oublier le paradigme qui veut que le chef n’a de légitimité que s’il sait tout, connait tout et est infaillible.

Et poussez encore un peu le trait : « je ne sais, tu en penses quoi ? »…

Là, on commence à jouer avec le feu, me diront certains : « Quoi ?!, admettre que le subordonnée pourrait avoir de meilleures idées que le chef ? Ou pire, admettre que malgré mon statut de chef, je ne suis pas capable de répondre au problème qui m’est posé, mais tu es fou !!! »

Non seulement je me considère comme sain d’esprit, mais en plus j’aimerais aller plus loin !

« Je ne sais pas, tu me proposerais quoi ? ». C’est-à-dire, admettre qu’il pourrait trouver une solution là où je suis sec malgré tous mes galons, hmmm, ça craint un peu non ?

Allez encore un petit effort. « Je ne sais pas, tu proposes quoi ! ». Quoi !? Lui faire confiance, a priori ! T’es dingue. Parier sur sa capacité à résoudre un problème sur lequel je bute depuis 10 ans, non mais je vais passer pour quoi moi !!!

Allez rassurez-vous, ça va bien se passer.

Pendant longtemps, une des phrases les plus sclérosantes que je connaisse hantait les couloirs : « Ne viens pas avec des problèmes, mais viens avec des solutions ».

J’entends au fond de la classe, certains dire : « ben c’est quoi la différence ? ». On admet tout autant que l’on n’a pas toutes les réponses et on présuppose qu’il peut y avoir des solutions que l’on ne connait pas.

Pas faux, cependant, moi j’entends d’abord « Surtout ! Ne viens pas !!! ». Ne viens pas me faire chier avec tes problèmes. Et puis faut pas rêver, le gars quand il a trouvé la solution, la probabilité qu’il vienne vous voir en claironnant : « Chef, chef, j’avais un problème, mais j’en ai plus !!! Je l’ai résolu tout seul comme un grand et je viens vous voir pour vous en parler… »

Tu parles, oui, il l’applique, il se la garde, et vous ne verrez ni le problème et encore moins la solution. Solution, qui partira avec son auteur quand il en aura marre de résoudre les problèmes dans son coin, sans aucune reconnaissance, ou à la gloire unique et non partagée de son hiérarchique qui continuera de gravir les échelons en grimpant sur le dos de ses collaborateurs (Et je sais de quoi je parle, j’ai encore quelques cicatrices!!!). Parce que le type qui fait son job, résout les problèmes tout seul sans pleurnicher, atteint ses objectifs sans être débordé, celui-ci est totalement INVISIBLE !!! Pire même, il peut être soupçonné de tire au flanc, voire j’m’enfoutiste. Et je ne parle pas du « t’est trop payé pour ce que tu fais » !!!

Tiens, ça me fait penser au fameux « bon élève, mais peut mieux faire » des carnets scolaires. Arghhh, mais j’ai envie de mordre à chaque fois… pas mon fils, bien sûr, mais ces profs aigris et jaloux qui se disent, mais merde si j’avais eu les facilités de ce gamin, je l’aurais eu ma putain d’aggreg’ et je serais pas là à m’emmerder dans un lycée de banlieue dont l’architecture n’est pas sans rappeler l’ère Stalinienne de Don Camillo…

C’est quand même formidable ce système, où ceux qui s’arrachent pour avoir 12 sont mieux valorisés que ceux qui ont 15 sans rien foutre (en apparence)… Je dis bien en apparence, car il en faut de l’abnégation et du courage, pour supporter la médiocrité de ces enseignements ras-les-pâquerettes, où le plus gros challenge est de ne pas s’endormir avant le générique de début.

Pour « pouvoir » mieux faire, il faut commencer par « vouloir » mieux faire, et pourquoi vouloir mieux faire, quand, de toute façon, avoir 12 ou 19 (on va oublier le 20 inaccessible, qui pourrait faire un billet de haine à lui tout seul), vous emmène exactement dans les mêmes voies de garage, pour finir avec une probabilité non négligeable de finir au chômage.

Qu’un seul prof ait les « corrones » de me dire bien en face, droit dans les yeux, qu’avec 17 plutôt que 14 au collège, n’importe quel gamin trouvera plus facilement du boulot. Allez ?!!! C’est marrant j’entends plus rien d’un coup… Alors le coup du, « pourrait mieux faire », vous pouvez vous le garder, le hacher menu menu, et vous en faire des décoctions pour soulager votre propre désillusion… (J’avais plein d’autres idées bien plus imagées, mais je préfère éviter la censure).

Alors pourquoi ? Pourquoi rabaisser le compliment ? C’est un bon élève ou pas ? Merde, posez-les sur la table !!!

Tiens, c’est comme « pas mal » !!! Alors là, c’est plus l’envie de mordre qui m’assaille, c’est l’envie de…de…de…. Non allez, je me calme, je ferai un épisode complet sur l’incapacité à trouver une chose bonne ou pas, mais pas « pas mal »!!!

Bon et pour le coup, pirouette cacahuète, j’r’tombe sur mes pattes, le gamin qui réussit facilement, sans pour autant briller ou écraser ses copains, finit par être le type qui résout les problèmes sans faire de vagues, sereinement, tranquillement. Et des « peut mieux faire », clairement j’peux vous dire que j’en ai eu quelques-uns. Parce que tranquillement dans le monde du travail, c’est pas normal, c’est même suspicieux.

Et comme il est toujours difficile, de savoir dire : « Ok, j’peux p’t’être faire mieux, mais des gars qui peuvent faire aussi bien que moi t’en connais combien ? … Allez vas-y dis-moi ? … Ben voilà ! Alors, bouffe-le ton « peut mieux faire » ! » Na ! Voilà, c’est dit !!! (Bon, avec vingt ans de retard et pas aux bonnes personnes, mais c’est dit ! Oh putain que ça fait du bien !)

Avec tout ça j’en étais où ?

Ah oui, à essayer de démontrer mon intuition sur la capacité d’un subordonné (j’adore cet archaïsme tellement évocateur d’époques que l’on aimerait croire révolues), à proposer des solutions innovantes à un problème important. Voire même, être capable de la mettre en place. Si, si je vous assure, j’y crois !!!

Bon alors on va tenter plusieurs dialogues :

« Chef, est-ce qu’on peut  parler du sujet du reporting sur le nombre de boulons de 12 en stock ? »

« Bien sûr »

Jusque-là tout va bien.

« Voilà, je trouve que l’on y passe beaucoup trop de temps, et étant donné que l’on en ait trop ou pas assez, ne change rien à la politique de l’entreprise, vu que ce n’est la priorité de personne, je voudrais trouver une autre solution »

Cas n° 1 : « Ah ben, ça va pas être possible tu sais, ça fait 10 ans que tous les mois on compte le nombre de boulons de 12 et LA Direction y tient beaucoup »

« Mais pourquoi ? »

« Alors là, t’as qu’à lui demander par toi-même quand tu le croiseras… » accompagné d’un petit sourire sardonique et condescendant.

Recherche Google : « Quelles sont les entreprises qui ont fini par comprendre que ça sert à rien de compter les boulons de 12 ? »

Avec une variante chopée dans une cabine d’ascenseur : « Ah bonjour Monsieur Le Directeur, pourquoi vous nous obligez à compter les boulons de 12 ? »

« Eh bien, parce que c’est fondamental, sinon c’est la dérive, ça commence par les boulons de 12 et après c’est quoi ? hein ? » – Alors là fuyez, je vous aiderais même à affiner la recherche et refaire votre CV

Ou

« Eh bien parce que le chef comptable me le fout sous le nez tous les mois, et que si j’oublie de le réclamer il a l’impression de ne plus servir à rien, alors j’fais semblant qu’ça m’intéresse ! »

« Je comprends, mais vous vous rendez compte que moi j’y passe 20% de mon temps à compter ces boulons, au lieu de faire des trucs avec une vraie valeur ajoutée… »

A ce stade, on peut oser espérer un début de frémissement de révision du jugement sur la nécessité absolue de compter les boulons de 12.

Cas N° 2 : « Ah ben, si tu veux, on peut demander de trouver un stagiaire pour te soulager dans cette tâche… » Là c’est le N+1 qui répond à la question du début sur les boulons de 12. Je préfère resituer, parce que j’ai l’impression que certains d’entre vous sont restés coincés dans l’ascenseur. ? ! Non ! L’ascenseur avec le patron, la saynète d’avant quoi !!! Je vous en prie essayez de faire un effort d’attention, parce que sinon on n’y arrivera jamais !!! J’ai déjà tellement de mal à faire un récit un tant soit peu structuré, si vous me faites perdre le fil je vais me sentir comme une Pénélope qui doit reprendre son fil tous les jours… Et hop j’en profite pour vous renvoyer vers l’épisode n° 17 – Divagations sur les plaies.

Donc, fermons la parenthèse et :

Cas N° 2 : « Ah ben, si tu veux, on peut demander de trouver un stagiaire pour te soulager dans cette tâche… »

« Oh génial, merci !!! » Quelle promotion, le type va encadrer une personne dédiée au décompte des boulons de 12, avec nécessité de lui apprendre le métier, vérifier son travail avant qu’il ne monte les échelons (le reporting bien sûr, le compteur de boulons lui n’est pas prêt de les monter ces échelons), et donc passer du temps à vérifier et corriger, pour, in fine, devoir un jour lui expliquer pourquoi on continue de compter les boulons de 12 « que-ça-sert-à-rien-mais-c’est-comme-ça » et « que-t’as-pas-intérêt-à-pas-trop-la-ramener-sinon-tu-y-laisseras-ta-place».

Recherche Google : « Quelles sont les entreprises qui ont compris que toujours plus de la même chose donne toujours plus du même résultat ?!!! »

Vous aurez compris l’exercice, je passe donc toutes les variantes intermédiaires pour vous en proposez une dernière qui me plaît particulièrement.

« Ecoute, quand j’étais à ta place, j’ai jamais trouvé la solution pour éviter de les compter ces put… de boulons de 12. Mais si tu as une idée, je suis prêt à t’écouter, mieux, je suis même prêt à t’aider à la mettre en place »

« Non, là tout de suite j’ai pas d’idée, mais vous m’autorisez à chercher une solution ?! »

« Non seulement, je t’y autorise, mais je t’y invite »

« Mais si ça coûte un peu d’argent, ou si ça nécessite un développement, et si… »

« Hola…. Trouve déjà une solution, les problèmes on s’y attaquera après »

« Merci, j’y fonce !!! »

Et là, il y a une petite chance que, non seulement vous ayez fait un heureux, mais surtout qu’il vous trouve une véritable innovation !!!

Catégories :Réflexion

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

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