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EPISODE N° 46 – La terrible angoisse de la boulette !!!

E48

Que celui à qui cela n’est jamais arrivé quitte immédiatement ce blog !!!

Quoi ?!

Eh bien la boulette, ou plus précisément l’angoisse de la boulette. Un exemple ? Mais tout de suite, mes lecteurs sont rois, je ne voudrais pas vous faire attendre.

 – Lyrkhan, sur l’opération Trifouillis les oies, c’est quoi le budget peinture ? – Question posée de l’autre bout du plateau, par un N+12 ou 13 réputé pour sa formidable patience et son imperturbable flegme.   

 – Euh…

Le temps de remettre les rouages synaptiques en ordre de marche dans une mémoire poreuse quelle est cette foutue affaire de Tripatouille en goguette, l’usage abusif du euuuuuuhhhhhhhhh est indispensable.

– Euh… Laissez-moi cherch…

– Alors ?! C’est quoi ce budget ?

Apparemment, non, il ne me laissera pas le temps de chercher…

L’exploration mémorielle se prolonge, dopée par la mine renfrognée de l’inquisiteur qui aimerait bien comprendre pourquoi il est si long d’obtenir une réponse aussi simple… « Crapatouilles les anguillettes, c’est ça non ? non !!!! Merde, il a dit quoi ?!!! »

Et puis soudain, le miracle de la recherche de l’aiguille dans la botte de foin… Un chiffre surgit de nulle part, il est beau, il est blond, il sent bon… Mais non n’importe quoi, pardon… En tout cas il est beau, il semble s’associer parfaitement avec la question posée, et tel un Zébulon incontrôlable il jaillit de ma bouche…

 – 1 million 250 mille, …

 – Ok !

Il se retourne pour s’enfermer dans son bureau, le merci a probablement dû être entendu par la plante verte du couloir ou par l’inconnu dans son bureau et que je n’avais pas remarqué jusque-là…

Mais c’est qui ce type ? Et pourquoi il m’a posé la question ? Et c’était bien Trifouillis les gommettes ou Trifouillis les patemouilles ? Et il m’a demandé le budget ou le prix du sous-traitant ? Et c’était bien la peinture, pas la décoration ? merde… merde… merde… Je suis sûr que je me suis planté !!!

Ah ! Ces quelques minutes de sueurs froides, pendant lesquelles je suis absolument certain d’avoir dit une connerie. Avec en corollaire tous les reproches intérieurs et autant de tentatives pour m’auto-rassurer.

– Mais pourquoi, tu n’as pas vérifié sur le tableau de bord ?

– J’ai pas eu le temps, il avait l’air particulièrement pressé.

– T’aurais au moins pu lui faire répéter le nom de l’opération !

– Ben bien sûr, en plus d’être con, je suis sourd… Je vais bientôt pouvoir déposer un dossier COTOREP !!!

– Allez t’inquiète, tu as dit « environ », c’est moins engageant, tu pourras toujours corriger plus tard.

– Ben bien sûr… Tu penses vraiment qu’il est de la génération « mise à jour automatique sans accord préalable ». Tiens, imagine comment il accepterait le « Bonjour, c’est pour la version 2.1 de la réponse : veuillez enregistrer  3 millions 150 mille et effacer les versions antérieures »

 – Pas faux !!! Allez t’inquiète, dans 10 minutes il aura oublié, il sera passé à autre chose…

 – Tu parles, il est hypermnésique ce type, il a retenu le chiffre et c’est gravé pendant les 7 prochaines générations dans sa mémoire de titan… Je suis sûr que ces petits enfants à la naissance brailleront 1 million 250 mille avant même de savoir dire maman !!!

– Allez, t’exagères toujours tout. Ce n’est pas si grave ! On n’a jamais viré personne, parce qu’il avait été soumis à la question à brule pourpoint et s’était trompé dans la réponse.

– Ah ouais ? Ben en tout cas, on n’a jamais vu un type recevoir une promo parce qu’il s’était trompé dans un calcul.

 – Et d’abord qu’est-ce que tu en sais ? Tu es vraiment certain qu’il est faux ce chiffre ?

Tindin !!! Et c’est là que rebondit l’action !

Nouveau dilemme tellement insoutenable que même Corneille n’a jamais osé aborder ce sujet, c’est vous dire !!!

D’un côté, se précipiter sur ses archives et retrouver le tableau de bord qui permettrait de corroborer les chiffres jetés en l’air.

De l’autre, continuer la tâche actuelle, qui n’est pas sans intérêt non plus, puisqu’il s’agit du reporting annuel destiné au N+12 ou +13 pour lequel je suis déjà à la bourre, étant donné qu’il était pour hier.

– Arggggghhh… Mais que faire ???

– Peu importe, mais FAIS quelque chose au lieu de peser le pour et le contre.

Allez, de toute évidence, il n’est pas sorti furax après avoir découvert que je m’étais trompé, c’est probablement un chiffre pas si débile, continuons ce magnifique tableau Excel à watt-mille entrées… Concentrons-nous sur le présent, le reporting ! Et comme c’était le sujet sur lequel je bossais avant d’avoir été interrompu, reprenons le fil de mon activité !!!

– Mais c’est vrai quoi, il est gonflé de m’interrompre comme ça… Et puis, s’il-vous-plaît et merci, ça l’écorcherait ?… C’est toujours la même chose avec lui, avec ses manières aussi délicates, forcément on fait des âneries…hmblblblblbl…

Une moitié de cerveau à ressasser, une autre à toujours chercher si c’était Campagnole les courgettes ou Chaource sur espagnolette, et une troisième à tenter de se concentrer sur ce biiiiippppp de tableau de biipppp à la bipppppp de biiiiiiiiipppppp. Je sais, ça fait une moitié de trop et c’est bien là le problème….

Quoi qu’il arrive, c’est foutu, il est IMPOSSIBLE de se reconcentrer sur quoi que ce soit d’autre avant d’avoir pu vérifier.

– Mais non d’une pipe, il est où ce tableau de bord ?

– Evidemment avec ton système de classement inspiré des tas de feuilles mortes au 15 novembre, ça va pas être facile facile à retrouver !

 – Oh ta gueule ! (Oui il arrive un moment où il devient difficile de se contenir, et puis quand on parle à soi-même on a le droit d’être grossier, on ne choque personne à ce que je sache !!!)

– Oh, ça va hein !!! Moi j’dis ça… (Apparemment si on peut s’auto-choquer… intéressant, à développer dans un prochain épisode tiens !!!)

Et voici maintenant, le troisième et dernier volet de cet épisode au suspense insoutenable :

– Dis voir Lyrkhan ?!

– Oui ?

J’ai immédiatement reconnu la voix de notre chère gestionnaire, qui s’est approchée de mon bureau avec un petit sourire narquois.

Ah pour sûr, s’il y a quelqu’un d’ordonné, de méticuleux, de carré ici c’est bien elle.

– J’ai vérifié pour Trifouillis les oies et….

Allez merde tu vas la cracher ta Valda… Je me suis trompé ou pas ?!!! Forcément, si elle vient me voir, c’est parce que je me suis vautré, sinon pourquoi prendrait-elle la peine de se détacher de son écran pour venir me voir fouiller à quatre pattes dans mes dossiers.

Et au même moment…. Le voilà le tableau de bord tant convoité, il est là juste sous mes yeux, reconnaissable entre mille… Je compulse rapidement, Ligne : Trifouillis les oies, Colonne : Peinture et au croisement des deux se trouve donc mon avenir, ma délivrance, mon Graal…

C’est pénible n’est-ce pas ???

 Et les deux, en chœur… 1million 350 mille… et

Et simultanément :

Moi : Bon, 100 mille c’est pas si grave, je suis sauvé…

Elle : 100 mille, mais c’est énorme, TU vas faire comment ?

C’est certain, que l’on n’a pas la même tolérance à l’approximation et aux ordres de grandeur. Et puis ce « TU vas faire comment ? » ! J’ai le droit de lui répondre « te tordre le cou jusqu’à faire disparaitre ce sourire mi-narquois, mi-apitoyé » ? Non ? Dommage, je suis sûr que ça me soulagerait pourtant ! Et puis en taule, personne ne viendra me faire chsuer avec les budgets de Cramouillis les abbesses.

D’ailleurs, si elle avait dit « tu vas faire quoi ? », j’aurais encore pu essayer d’esquiver, tenter de plaider l’erreur à la marge qui ne nécessite aucun correctif, mais là non ! Tu vas faire comment, sous-entend clairement que le jugement est déjà prononcé, il faut aller se dénoncer, mettre sa propre tête sur le billot en espérant une clémence improbable.

– Ok, t’as raison, j’y vais, on verra bien.

A l’approche de la zone de combat, j’entends du bruit, des chaises qui grincent et des cahiers qui se referment. Je patiente, quelques instants encore et la porte s’ouvre sur le N+12 tout sourire, une main sur la poignée, l’autre serrant celle de l’homme que je reconnais enfin comme étant un peintre venu négocier un gros contrat. Apparemment tout s’est bien passé, l’erreur n’a pas été fatale, mais maintenant que j’ai trouvé le courage de venir avouer mon erreur, il faut que j’aille au bout.

Je profite de l’éloignement du fournisseur pour avouer humblement mon erreur au chef-chef-chef… (je vous épargne la série de 12 (ou 13) chef-chef).

Il me regarde, un sourcil levé, un sourire en coin et me répond en se marrant… Eh bien on a gagné 100 mille de plus !!!

– et au fait…

– …oui ?!

– Merci !

– (Ah enfin, quand même…) De rien.

Là, je vous ai fait la version happy end à la Hollywoodienne, tout le monde est heureux et content…

J’aurais pu la faire dans l’autre sens, mais je la trouvais moins sympa et puis il aurait fallu, que je décide, s’il se mettait en colère ou s’il passait l’éponge, ça nous aurait emmené un peu tard (oui j’ai rendez-vous chez le banquier, (non pas pour mes droits d’auteurs, je vous rassure) alors je bâcle un peu la fin !!!).

Ce qui est certain, c’est que c’est plus pittoresque que la version :

– Lyrkhan, sur l’opération Trifouillis les oies, c’est quoi le budget peinture ?

– Eh bien, c’est une opération assez ancienne… Vous permettez que je recherche l’information précise dans mon tableau de bord, ou c’est un ordre de grandeur que vous cherchez ?

– Un ordre de grandeur, ça ira

Je passe le couplet sur la recherche approfondie en mémoire morte cérébrale…

– Eh bien environ 1million 250

– MERCI !!!

Plus pittoresque, certes, mais tellement moins pro !!!

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

2 réponses

  1. A vous tous et toutes, lecteurs assidus de ce blog génial plein d’humour et de finesse ( dans ce monde de brutes … ), je souhaite de Bonnes Fêtes de Fin d’Année !!!!
    Et si un dessinateur se sent l’âme d’un Uderzo qu’il entraîne notre Gosciny Lyrkhan dans la folle aventure d’une belle BD cru 2016 !!!!!

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