Les récentes condamnations américaines à l’encontre de sociétés françaises pour non-respect de règles d’éthiques nous font prendre conscience qu’on ne rigole pas avec les règles…
Enfin, on ne rigole plus…
Mon passage à l’ESTP, Ecole formatrice des plus beaux cadres du BTP, n’a pas seulement été l’occasion de décider de ne plus jamais faire le moindre calcul de béton armé*, mais aussi celle d’une heure de gloire dont je me serais bien passée (pour une fois me direz-vous, cabotin que je suis).
Je vous précise la situation, en deuxième année d’études, apparaît une nouvelle discipline : L’informatique !
Evidemment pour les moins de 45 ans, il est inimaginable de penser que dans les années 90, avant 25 ans, aucun ingénieur français n’avait dans son cursus la moindre notion théorique d’informatique (Evidemment je n’inclus pas les sessions de Minitel : 3615 Ulla, on ne peut pas vraiment compter ça dans son cursus scolaire (Je n’ai jamais lu un CV avec Minitel Master à la ligne Hobby (Déjà quand je vois la tête de ma fille devant un téléphone à cadran et combiné ! (Si, souvenez-vous, ceux où il y avait un écouteur que votre mère décrochait discrètement à l’autre bout de la maison pour savoir à qui on parlait depuis des heures (Tu raccroches le premier… non toi… non, toi d’abord… hii hii… hu hu (C’est comme hi hi mais avec la voix d’ado en pleine mue pubère (Je vous ai remis un petit jeu de « Comptez les ouvertures/fermetures de parenthèses avec moi, c’est toujours mieux que d’écouter Julien Lepers »)))))))
Eh bandes de gros malins jeunistes, si on avait du avoir des cours d’informatique plus tôt il aurait fallu que nos profs de l’époque sachent l’enseigner eux-mêmes alors qu’ils étaient nés dans les années 30-40 !!! Bref nous vivions avec notre temps.
Toujours prêt à ne pas faire comme les autres et par goût personnel, j’avais démarré l’informatique et appris à programmer dès les premiers temps, sur des bécanes bricolées en kit et achetées par correspondance, branchées sur la télévision familiale et dont les données étaient enregistrées sur des cassettes Audio… Je vous interdis de rire, c’était passionnant. On chargeait un programme de quelques lignes en à peine ¼ heure (sauf quand ma petite sœur, trouvant que le tritritrirtiritirtirtirti (comme le bruit du minitel qui se connecte…) était trop strident et arrêtait le magnéto pour mettre la cassette de son groupe préféré (A-hA ou Licence IV, je ne sais plus, (Plus tard j’ai réussi à lui faire apprécier Led Zepp, AC/DC et les Floyd, mais bon comme c’était juste après avoir vu Orange Mécanique, la méthode était peut être un peu « abrupte »)).
Revenons à notre informatique ESTPienne. Non seulement, personne n’y connaissait rien, mais en plus, il fallait programmer en Pascal !!! Alors le Pascal, Le PASCAL est au langage informatique, ce que l’Araméen est au Français moderne. Aussi facile à apprendre, connu d’à peu près 10 personnes dans le monde et totalement mais alors totalement obsolète. Le truc est tellement pointu que la moindre virgule oubliée, le peek au lieu du poke, le STR au lieu du BOOL rend le programme totalement dingue et il tourne en boucle pendant des heures sans pouvoir l’arrêter sauf à éteindre l’ordinateur à la méthode Dave Bowman avec HAL (1er Indice : Lien vidéo : [HAL 9000 – Vidéo] – 2ème Indice : 2001 – Clarke/Kubrik – 3ème Indice :Autre lien [C’est un peu long de l’éteindre…])
Et vous savez quoi ? Je maîtrisais le Pascal, un peu comme Indiana Jones maîtrisait le grec ancien… (et l’Araméen aussi je crois que c’est ce qui le sauve dans « la dernière croisade », oui aussi le fait de savoir que le Joseph était charpentier, mais pour l’histoire actuelle l’Araméen m’avantage. Preuve N° 1 : [The Name of God] vs Preuve N°2 : [You Choose Wisely] – Ok Vous avez gagné, c’est du Latin…).
Arrêtez de regarder la télé et revenons à nos moutons s’il vous plaît : La première épreuve d’informatique arrivait à grand pas et plusieurs de mes co-disciples m’invitaient à trouver « un truc » pour les aider. Avec deux trois énergumènes de ma trempe qui avaient également passé plus de temps à faire de l’informatique qu’à profiter des douceurs qu’apportent un présence féminine aimante (oui parce que la présence féminine pas aimante aurait plutôt tendance à vous re-plonger dans les bras de votre ordinateur), nous avons élaboré un plan.
Afin de mieux comprendre le système, une promo de l’ESTP c’est environ 400 personnes, et les épreuves en classe entière se passaient donc sur le campus de Cachan et nous étions répartis dans une dizaine de salle. Enfin le campus, à l’époque on avait plus l’impression d’arriver dans un camp de vacances américain des années cinquante. (Je vous aurais bien mis une vidéo du Holidays Camp des Who, mais j’en ai assez que vous regardiez des vidéos plutôt que de vous intéresser à ce que j’essaie de vous raconter… Allez, tant pis, je ne resiste pas : [Tommy’s Holydays Camp], mais c’est la dernière !!!)
Et nous avions le droit d’arriver avec dix minutes de retard pour des épreuves de 2 ou 4 heures.
Nous avions squatté une salle libre et avec deux acolytes, nous étions mis au tableau.
Un ou deux « représentants » de chaque salle était sagement assis face à nous prêts à prendre des notes.
Dans une des salles un « complice » avait jeté par la fenêtre son sujet qu’un « coursier » nous avait ramené, tel le Marathonien (le grec évidemment, pas celui de New York sinon l’histoire n’a aucun intérêt) qui ira délivrer le message de la victoire des Spartes (enfin je crois que ce sont les Spartes) à Athènes et meurs après avoir accompli son destin (Je vous rassure aucune animal n’a été maltraité dans cette histoire).
Ereinté notre coursier nous apporte le sujet… 3 questions… ça tombe bien on était trois, et quelques minutes pour donner la « soluce », comme disent mes enfants, à un parterre d’ignares informatiques ébahis devant notre virtuosité, tel le pompier de trifouillis les oies devant celle d’André Verchuren au bal du 14 Juillet (bon j’hésitais avec celle de Yehudi Menuhin à Bayreuth, je vous laisse choisir, mais ça vous donne une bonne idée non ?).
Alors je vous explique mon sujet… Il fallait écrire un programme qui permette à l’ordinateur d’imprimer l’initial de votre prénom et les deux premières lettres de votre nom en utilisant les codes ASCII !!!
Eh, c’est pas génial comme sujet çà ?!!! Après les poteaux hexagonaux, les codes ASCII…
Encore une épreuve qui allaient nous servir pendant toute notre carrière (surtout qu’à l’époque je ne savais pas que de se faire appeler par ses initiales, dans certaines sociétés, relevait du privilège absolu…)
Je prends ma plus belle craie, et j’écris rapidement les quelques lignes de programme qui permettent cet exploit extraordinaire (quand je pense que des mecs sont allés sur la lune avec des calculs fait sur règle à calcul et nous, nous perdions notre temps à écrire notre nom en langage codé (Après on s’étonne que ce soit les anglais qui aient brisé Enigma et pas les Français))
Le code ASCII pour les nuls, c’est une espèce de code secret qui convertit des nombres allant de 1 à 256 en lettres ou jolis symboles tous tordus… (Essayez sur excel la formule suivante « =+CONCATENER(CAR(66);CAR(105);CAR(115);CAR(111);CAR(117);CAR(115);CAR(32);CAR(254)) » vous verrez à peu près l’exploit que cela représente…)
Evidemment la question permettait aux examinateurs de savoir si 1 on savait programmer et 2 on avait appris par cœur la table ASCII… qui est aussi facile à placer dans une conversation mondaine que le tableau de Mendéleiev (Je vous laisse aller voir sur le Net ce que Napoléon mangea allégrement six poulets (ou Prussiens ça marche aussi) sans claquer d’argent veut bien vouloir dire)
Aparté : Oui je me suis décidé à faire des histoires interactives et didactiques aussi, tant qu’à vous prendre du temps autant qu’il soit utile.
Donc j’ai aussi expliqué que le code ASCII était : A = 65, B = 66, etc… Quand on a compris ça normalement on peut faire tenir des ponts sur haubans ou construire la plus haute tour de France non ?
Et zou, tous les représentants sont repartis dans leurs salles avec leurs corrigés, les ont fait passer discrètement à tous leurs collègues qui angoissaient grave en se demandant comment ils allaient passer les deux prochaines heures devant leurs copies blanches.
Le graal était livré, tout le monde (à part quelques polars qui refusaient cet arrangement avec l’honnêteté (cf l’introduction du sujet) a rédigé son épreuve et rendu une belle copie aux examinateurs épatés devant la rapidité avec laquelle toute cette belle classe avait travaillé.
Quelques jours se passent et j’attends avec impatience le retour des copies, fier par avance de tous les remerciements qui ne manqueraient pas d’affluer suite aux notes formidables que nous ne manquerions pas d’obtenir collectivement.
Et là… je suis convoqué par la direction des études (et cela deviendra une habitude dont je me serais bien passée mais ce sont d’autres histoires…) pour quelques explications.
« Alors Monsieur Clovis LArdenet ? Dites moi vous avez beaucoup d’homonymes apparemment.»
« Euh ? oui, vous savez Clovis est un prénom finalement assez répandu et on ne peut pas dire que Lardenet soit d’une originalité excessive non plus alors, forcément, statistiquement en France on doit être quelques uns… »
« Ne jouez pas aux idiots avec moi.. »
« Euh, alors là aucune chance, j’ai horreur de perdre » Je ne l’ai évidemment pas dit même si cela me brûlait les lèvres.
« Je parle d’homonyme dans votre promo »
Et là, il me montre une note du prof d’info lui montrant que 73% de la classe avait répondu C.L.A. à l’épreuve sur les codes ASCII, et que j’étais le seul à avoir les mêmes initiales (à part Chantal LAuby, mais ça compte pas) et donc que forcément j’avais triché, ou en tout cas, fait bénéficier illégalement de mes compétences à mes petits camarades.
Foutu pour foutu, j’ai tenté le gros coup de bluff.
« Mais comment expliquez vous alors, que même des élèves qui étaient à l’autre bout du campus aient également pu copier sur moi ?? Hein j’te le demande gros malin. (Là aussi je n’ai pas tout dit je vous laisse faire le tri…), je n’ai pas le don de télépathie »
« Hmmm, mouais… ça se défend… bon allez dehors, je verrai ce qu’on fera de votre cas »
Résultat : L’épreuve est annulée pour… dysfonctionnements informatiques inexpliqués.
Je n’aurai pas eu la gloire attendue auprès de mes coreligionnaires, mais on s’est quand même bien marrés.
(*) Voir Episode N°1 : La genèse
Lyrkhan
Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.
Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.
J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.
Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.
Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.
Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.
L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.
il était temps que je l’écrive.
(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.
(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.
(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.
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