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EPISODE N° 8 : Savoir remercier est un art.

Dans le travail comme dans la vie, il est important de savoir remercier. Je suis sûr que la Baronne de Rothschild, dans ses manuels de savoir-vivre, y consacre des nombreux chapitres.

Plutôt que de boire du Rothschild, aurais-je du la lire ? Probablement et surtout à cette occasion…

Il fut un temps où j’ai été infidèle…à mon entreprise préférée de BTP s’entend… sinon, je suis irréprochable. Si, si, je ne vous permets pas d’en douter.

En effet, j’ai pris un congés création d’entreprise et pendant deux ans j’ai dirigé une PME de 10 personnes.

C’était l’entreprise familiale de mon futur ex beau-père (oui parce qu’à l’époque il était mon beau père, mais maintenant c’est fini, il est le beau-père d’un autre)

Une société qui mettait de la colle dans des tubes, et aussi de la colle sur des vis (On le faisait exprès bien sûr, ce n’était pas de la colle qui giclait partout et qui retombait malencontreusement sur des vis, on en mettait sur des vis de luette, pour que les vis arrêtent de se dévisser tout le temps)

Je ne vous ferai pas l’affront de vous demander « comment c’est-y qu’on met la colle dans le tube, vu que le trou est tout petit ? » En tout cas, moi, ces machines qui font ça toutes seules (elles le mettent par le fond et plient le fond ou le soudent) ça m’avait vachement impressionné (mais attention de l’autre côté c’est bouché parce que sinon la colle coule (il n’y a aucune contre-pétrie, ne cherchez pas))

Comme vous le voyez, tout ça était hyper technique, et, après avoir fait tenir des bâtiments sur un poteau pendant qu’on creuse trois niveaux en dessous, je pensais vraiment que je serai de taille à affronter sereinement le futur.

Mais ce que je ne savais pas, c’est que mon beau-père (pour la faciliter de la narration, je l’appellerai ainsi jusqu’à la fin de l’histoire, parce que futur ex-beau-père ça va faire long et qu’au bout de cinq minutes vous risquez d’oublier et je serai obligé de vous ré-éxpliquer et on ne s’en sortira pas…)

Alors mon beau-père était un brillant bricoleur qui inventait des machines très ingénieuses et qui marchaient très bien et d’ailleurs une étaient brevetées. C’est vous dire ! Mais alors en termes de gestion, comment dire ? Il y voyait aussi clair que le fils de Ray Charles et Helen Keller (allez voir sur Wiki c’est impressionnant et puis je trouve que c’est plus original que Mary Ingalls)

Bon, vous voyez (ah ah, c’est fin) le tableau. Vous voulez une preuve ? Il a travaillé longtemps avec une connaissance qui faisait sa compta. Et à l’issue d’un contrôle fiscal houleux, il a avoué à mon beau-père irrité qui lui demandait :

« Mais tu n’y connais rien ou quoi en fiscalité ? »

« Eh bien, c’est-à-dire, que je suis plutôt expert en comptabilité, et pas vraiment expert-comptable… »

La nuance valait quelques milliers d’euros ce qui à l’échelle d’une PME de 10 personnes est énorme.

J’arrive sur ces entrefaites et effectivement la boîte était au bord du trou (pas celui où on met la colle bien sûr) et surtout à la limite de la cessation de paiement et il fallait absolument relancer le commercial (l’ancien avait été viré quand mon beau père s’est rendu compte qu’il passait son temps à remplir des disques durs de photos pornos quand il pensait qu’il récoltait des fichiers clients) et pour ça il faut envoyer des jolis papiers, et donc faire des photocopies.

Et là aussi, je me suis bien marré quand j’ai compris que la photocopieuse achetée louée, à un prix « défiant  toute concurrence » était en fait une grosse arnaque. Effectivement le tarif mirobolant était pour une quantité de tirages comparable à celles de tout le ministère des finances. Et si on ne faisait pas cette quantité on payait infiniment plus cher chaque photo. Et pour le coup j’ai pu rapidement mesurer l’infini.

Hop hop, téléphone :

« M’sieur xxxx ? »

« Oui, XeroxL’arnaqueàvotreécoute, que puis-je faire pour vous ? »

« Vot’ photocopieuse, vous pouvez venir la chercher tout de suite parce que dès demain j’arrête la location, et si, lundi vous n’êtes pas venu la chercher je la broie sous une pelleteuse et on fait un barbecue avec les restes… »

« Mais voyons, Monsieur, comment osez-vous ? »

« Ah ? Tu crois que je bluffe espèce de tiiiiiiiiit » Je suis obligé de censurer ce passage pour ne pas heurter les oreilles les plus sensibles

« ok j’arrive tout de suite ».

Voilà, j’arrêtais de perdre des sous, mais du coup je pouvais plus faire de totocopies.

Comment faire, mais diable comment faire… ?

Il me restait le 50/50, mais dans ce cas cela ne sert à rien, j’ai donc opté pour « j’appelle un ami ».

« Allo Etienne ? » (Cet « ami » est un des dandys les plus ultra fringués du BTP que je connaisse, du genre qui plait aux femmes non par son physique mais pour son goût du shopping fringue et qu’il est certainement le seul homme à faire la distinction entre du corail et de l’orange)

«Dis voir tu pourrais me dépanner ? J’ai une urgence de quelques centaines de copies et comme tu fais beaucoup de tirages (oui à l’époque les modem faisaient encore des bruits de minitels et les CD on les lisaient mais on ne les gravaient pas) je me disais que tu pourrais m’aider parce que là je suis un peu dans la mouise… »

« Mais bien sûr, avec plaisir, passe me donner les documents et je m’en occupe… »

« Merci, vraiment c’est chic, je te revaudrai ça » – Alors là j’étais très heureux d’avoir un ami comme ça.

L’affaire se passe admirablement bien (non ce n’est pas là que c’est drôle, restez concentré encore 5 minutes !)

Quelques semaines se passent et profitant de l’été et d’un passage chez un client je propose à mon cher Etienne, de l’inviter à déjeuner près de son boulot et au Courte Paille plus précisément (Je ne suis pas sûr que la Baronne aurait approuvé ce choix de restaurant mais je faisais avec les moyens du bord).

Et nous nous installons, Etienne, comme à son habitude, portant un costume d’une élégance rare (et c’est tant mieux qu’elle soit rare, parce que pas toujours du meilleur goût, mais je peux vous assurer qu’il y avait de la tune sur le dos et certainement inauguré pour cette occasion)

« Alors comment ça se passe, ce nouveau job ? »

Je lui raconte les histoires de comptable, de tubes de colles qu’on remplit par le fond, de truands de placeurs de photocopies, etc…

Et là mon Etienne me raconte les derniers ragots de qui couche avec qui, quelles sont les petites nouvelles du troisième étage et accessoirement quelques histoires assez drôles et croustillantes.

L’ambiance se détend et le serveur nous amène les plats et une superbe carafe de vin « de pays » tout juste tirée de… en fait, je préfère ne pas savoir.

Je nous sers généreusement, on discute, je lui dis « trinquons et je tenais à te remercier pour le dépannage, franchement tu m’as ôté une belle épine du pied»

« Cling »

« Slurp »

Et là, comment expliquer ce qui, en une fraction de seconde, a pu se passer (il faut le talent de John Woo pour pouvoir capter toute l’intensité de cette scène tout en gardant la chronologie et la cohérence de l’histoire sans perdre le spectateur dans une accumulation d’images inutiles)

Alors je vous propose un ralenti :

Nous trinquons…

Nous portons nos verres à nos lèvres…

Je pense à la dernière histoire qu’Etienne vient de raconter…

Je souris intérieurement…

Simultanément, mon coude poursuit son chemin pour porter le verre plein à mes lèvres…

Le verre touche mes lèvres…

Le liquide (non décemment on ne peut pas appeler ça du vin) touche mes lèvres…

Il emplit ma bouche et commence immédiatement son œuvre de décapage intense tellement il est acide…

Mon cerveau, qui n’a pas encore pris acte de l’agression, donne ordre à ma bouche de rire intérieurement à la bonne blague…

Instantanément, dès que le signal de l’acidité lui arrive, il contredit son ordre précédent…

Et ordre et contrordre, qu’est ce qui se passe… ?

Ça passe par le mauvais trou…

Et quand on rit… ?

On recrache…

Toute la gorgée… et comme c’est très acide on a les lèvres serrées et cela part en un geyser rouge vermillon, en micro particules (Même Raoul Volfoni n’en n’a jamais rêvées d’aussi fines).

Travelling arrière et zoom avant pour mieux saisir la scène dans sa globalité : Je crache TOUT mon verre, en aspersion aérosol, je macule le beau costard tout neuf. Je n’en loupe pas un cm²… Le tir parfait, imparable, impossible à réaliser une seconde fois, bref du grand art !!!

Je vous laisse imaginer la suite, ma confusion, sa colère contenue et le silence de la fin de repas.

Ceci étant dit, je dois humblement avouer qu’il a été parfaitement stoïque malgré l’ampleur des dégâts. (Ou, en tant qu’amateur de foot, il appréciait la perfection de mon tir et restait coi d’admiration. (on se rassure comme on peut)).

Bonus pour ceux qui ont suivi jusqu’au bout… : Broken Arrow où l’art de faire tenir un film en moins de 4 minutes…

Catégories :BTP Métier

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Lyrkhan

Je m’appelle..., et puis quoi encore... (l’anonymat dans certaines situations est vital) et je suis ingénieur dans le BTP.

Depuis 1988 je travaille dans le Bâtiment, formé à l’ESTP (Ecole Spéciale des Travaux Publics) où je me suis plus illustré au Journal interne et aux aventures Théâtrales, qu' en assistant aux passionnants amphithéâtres de RDM*. J’y ai cependant appris à aimer le travail d’équipe et le plaisir de réussir des projets.

J’ai, majoritairement passé ma carrière à rénover des Bâtiments Parisiens et cette passion du « construire ensemble » m’a toujours guidée au cours de mes nombreux chantiers.

Et si je parle de passion, c’est qu’il en faut une certaine dose pour apprécier de faire ce métier chronophage, protéiforme et viril, où l’on s’appelle plus souvent « ma couille » (il faudra vous y faire) que « cher ami », surtout si l'on préfère l’univers de Boris Vian et Pierre Desproges à la lecture assidue du BAEL** ou des DTU***.

Malgré ce décalage, je n’ai jamais perdu cette passion du métier, parce que les aventures humaines sont finalement toujours plus importantes que les calculs aux éléments finis, parce qu’un con debout va toujours plus loin que deux ingénieurs assis (ah je vous avais prévenu) et enfin parce que bien que souvent suspecté d’être un atypique « qui n’aime pas les cases », j’ai apporté ma pierre à ces aventures pour mon grand plaisir et pour la réussite des projets.

Aujourd’hui, je suis passé de suspect qui se cache à coupable qui l’assume, voire le revendique.

L’aventure est dans le partage, alors je vous présente, à travers des témoignages, des observations et des critiques : un rapport d’étonnement de… presque 30 ans.

il était temps que je l’écrive.

(*) RDM : Résistance des Matériaux : Tous les matériaux ne résistent pas de la même manière. Belle évidence non ? Eh bien, il faut croire que cela ne suffit pas, puisque des ingénieurs en ont fait une science qui permet de calculer si un pont tient mieux avec du métal qu'avec des élastiques.

(**) BAEL : Béton armé à l’Etat Limite : Méthode de calcul du béton armé dont je serai totalement incapable de vous préciser le début du commencement du préliminaire et franchement je n’ai pas honte.

(***) DTU : Documents Techniques Unifiés : Titanesque recueil de méthodes de construction qui regroupe tout le savoir-faire du BTP. « La bible » comme disent certains, et comme toute bible, il y a les ultra-conservateur qui s’y réfèrent oblitérant toute tentative d’interprétation aussi mineure soit-elle. Toute relation avec des événements récents est totalement assumée.

2 réponses

  1. ouhhhhhh !!!!!!!!! j’en pleure encore de rire !!!!!!!!! :):):)

    Que c’est bien écrit, bien raconté et anecdote d’une rare drôlerie !!!!!!

    Par contre il me vient 2 questions existentielles dont les réponses manquent dans la fin de l’histoire :
    – Une photocopieuse digne de ce nom et d’un prix abordable est elle venue fournir rapidement ses précieux services à la PME ?
    – Etienne est -il toujours un de tes amis ?

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